Dans sa classe de 29 élèves, Julia Simard a toujours «7 ou 8 cas compliqués».

«Alors l'enfant triste qui reste dans son coin, il m'échappe, se désole l'enseignante de cinquième année. Je m'occupe de mille et une choses et, à la fin de la journée, je réalise que j'ai encore oublié d'aller jaser avec lui.»

Il y a deux ans, l'un de ses élèves, victime de rejet, a eu beau clamer qu'il pensait à se jeter en bas du troisième étage, elle n'a jamais réussi à obtenir des services pour lui. «La psychoéducatrice est débordée», dit-elle.

Et c'est bien ce qui inquiète de plus en plus médecins et chercheurs. Parmi tous les enfants atteints d'un problème de santé mentale, seulement un sur cinq est suivi. Et les enfants anxieux ou déprimés sont oubliés plus souvent que les autres.

«On se soucie bien davantage des problèmes de comportement que de la vie intérieure des enfants moins perturbateurs. Pourtant, la dépression est un problème chronique: plus on la dépiste tôt, meilleure sera notre intervention», souligne le pédopsychiatre Jean-Jacques Breton, chercheur au centre Fernand-Seguin.

Plusieurs de ses collègues de l'hôpital Rivière-des-Prairies militent justement en ce sens. «Pour éviter qu'un enfant se rende à la conduite suicidaire, il faut s'y prendre de bonne heure, plaide la psychologue et chercheuse Lise Bergeron. Mais rien ne sert de faire du dépistage si on n'a pas les ressources pour répondre ensuite aux besoins. Il faut donc trouver une solution qui ne surcharge pas les services.»

Dans les années 90, un projet-pilote a permis à son équipe de faire du dépistage dans les écoles de quelques secteurs très défavorisés. Son collègue pédopsychiatre Jean-Pierre Valla a proposé de généraliser l'expérience. Il a toutefois essuyé un refus de l'Institut national de santé publique, qui préfère s'en tenir aux programmes de prévention universels.

Autant donner des vitamines à tous les enfants plutôt que des antibiotiques aux enfants infectés, déplore encore aujourd'hui le Dr Valla. «Vu la fréquence de la dépression, vu les coûts sociaux qu'elle entraîne, c'est devenu un problème de santé publique, dit-il. On n'aura pas le choix de changer de cap dans 10 ou 20 ans.»