Échanges fiévreux hier à l'Assemblée nationale après le dépôt du projet de loi 103 destiné à modifier la Charte de la langue. Selon Jean Charest, le gouvernement a choisi de «colmater la brèche» qui avait fait naître les écoles «passerelles» grâce auxquelles, avant 2002, quelque 1000 élèves par année pouvaient accéder rapidement au réseau scolaire anglophone.

Le gouvernement Landry avait fermé cette porte avec la loi 104, invalidée l'automne dernier par la Cour suprême, qui a jugé qu'il s'agissait d'une limite déraisonnable aux libertés fondamentales. Le tribunal avait proposé plutôt de définir ce que serait un «parcours authentique» pour un élève qui veut adhérer à la minorité anglophone. C'est le choix qu'a fait le gouvernement, a insisté hier M. Charest, après une guérilla de procédure par laquelle le PQ a retardé le dépôt du projet de loi de la ministre Christine St-Pierre.

 

«Nous défendons fièrement notre langue parce que nous y croyons. On n'a pas besoin de faire ça en suspendant les droits des autres», a lancé M. Charest.

«Vous ne pouvez vous lever, tenir un discours enflammé, prétendre que vous défendez la langue alors que vous faites exactement le contraire», a répliqué Pauline Marois. La décision de Québec, insiste-t-elle, vient consacrer le droit des parents «d'acheter un droit constitutionnel pour leurs enfants».

«On crée deux classes de citoyens... la primauté du français est non négociable mais elle est achetable. Ça coûtera seulement un peu plus cher!» a renchéri Pierre Curzi, critique du PQ sur les questions linguistiques. La population va se mobiliser pour contrer cette décision, a-t-il prédit.

Mme Marois estime que Québec aurait dû recourir à la clause dérogatoire de la Constitution pour continuer de restreindre l'accès à l'école anglaise - le gouvernement Bouchard avait cru que la loi 104 serait suffisante. Sylvie Roy, de l'ADQ, a quant à elle décrit la clause dérogatoire comme «un canon pour tuer une mouche».

Guerre de citations

Ironiquement, M. Charest et Mme Marois se sont lancé des citations d'anciens premiers ministres coincés à leur époque dans la poudrière linguistique. Mme Marois a invoqué le libéral Robert Bourassa, qui, au moment de l'adoption de la loi 178, laquelle interdisait l'affichage en anglais en se fondant sur la clause dérogatoire, avait expliqué: «Lorsqu'il a fallu arbitrer, j'ai arbitré du côté des droits collectifs... Je suis le seul chef de gouvernement en Amérique du Nord qui avait la justification morale d'agir de la sorte... à la tête d'une communauté très minoritaire dans l'ensemble du continent.» Pour Robert Bourassa, il n'était pas question de prendre le risque de «briser la cohésion sociale autour d'une langue commune, le français», a déclaré Mme Marois.

Saisissant la balle au bond, M. Charest a rappelé que, après la loi 178 et sa clause dérogatoire renouvelable aux cinq ans, Robert Bourassa avait trouvé une solution «durable dans le temps» avec son homme de confiance, Claude Ryan. On avait alors adopté la loi 86, qui établissait la «prédominance» du français dans l'affichage - un régime qui tient toujours après 17 ans.

Puis il a cité Lucien Bouchard, qui, alors qu'il venait de prendre la barre du PQ, en 1996, avait fait face à l'aile radicale de son parti: «Je ne peux pas envisager, avait-il alors déclaré, l'hypothèse où le Parti québécois invoquerait une clause dérogatoire et mettrait de côté les droits fondamentaux de notre charte pour quelque solution que ce soit en matière linguistique.»