Il y a deux ans, des écoles clandestines ont été découvertes en Outaouais, en Estrie et à Montréal-Nord. Saviez-vous qu'il y en avait aussi à Lachine, LaSalle, Dollard-des-Ormeaux, Saint-Lazare, Saint-Jérôme et Montréal? Huit écoles évangéliques ont reçu un permis du ministère de l'Éducation pour le primaire, mais continuent de recevoir des jeunes du secondaire dans l'illégalité, a appris La Presse.

Même si elles utilisent un programme scolaire texan basé sur la Bible, le ministère de l'Éducation a donné un permis à huit écoles primaires évangéliques qui accueillaient les enfants dans la clandestinité, a appris La Presse. Québec tolère aussi qu'elles reçoivent des élèves du secondaire, illégalement, contre l'avis de la Commission consultative de l'enseignement privé qui recommandait d'intégrer ces jeunes dans des écoles reconnues.

Ouvertes clandestinement depuis deux, cinq ou même 20 ans selon les cas, ces écoles font partie de l'Association des Églises-écoles évangéliques du Québec. Leur «enseignement» est basé sur la méthode pédagogique School of Tomorrow de l'Accelerated Christian Education, un programme évangéliste conçu au Texas. «Les élèves font leurs apprentissages de manière autodidacte à partir du matériel rédigé en anglais, indique la Commission dans son dernier rapport annuel (2006-2007). Il n'y a pas, à proprement parler, d'enseignement ou d'enseignants.»

Le ministère de l'Éducation a conclu une entente avec sept de ces écoles primaires afin de les intégrer au système scolaire québécois au terme d'un cheminement qui prend fin en juin prochain.

Les conditions prévues: l'an dernier, les écoles devaient embaucher «au moins un enseignant qualifié» pour enseigner la langue première (français ou anglais), la géographie, l'histoire, l'éducation à la citoyenneté, les arts et l'éducation physique, selon le programme officiel du Ministère. Quant à la méthode School of Tomorrow, elle était réservée aux autres disciplines, soit la science et technologie, les maths et la langue seconde. Il s'agit pourtant d'une méthode créationniste, ce qui pose un problème pour l'enseignement de la science.

À partir de cette année, les écoles évangéliques devaient utiliser le programme officiel du ministère de l'Éducation pour toutes les disciplines, y compris l'éthique et culture religieuse. Or, La Presse a appris que ce n'est pas le cas: elles font toujours appel à School of Tomorrow pour les sciences, les maths et la langue seconde. Le Ministère a finalement «convenu (avec les écoles) que c'était la même chose que l'an dernier», a expliqué Stéphanie Tremblay, porte-parole du Ministère. Une huitième école évangélique s'est par ailleurs ajoutée à l'entente cette année.

Résultats non dévoilés

Fait à souligner, le Ministère a évalué les élèves de fin de primaire de ces écoles évangéliques au printemps dernier, mais refuse de rendre les résultats publics. «Cette évaluation va être réalisée encore une fois cette année, et c'est là qu'on va pouvoir savoir s'il y a une maîtrise équivalente des compétences», s'est justifiée Mme Tremblay.

Aucun inspecteur n'a été envoyé dans les écoles l'an dernier, mais des visites auront lieu au cours de la présente année scolaire, en vue du renouvellement des permis qui viennent à échéance à la fin juin. L'entente prévoyait que dès septembre prochain, les écoles évangéliques devraient respecter les mêmes critères que les autres établissements privés du Québec. Mais l'emploi commun du programme évangélique et de celui du Ministère perdurera, selon des sources évangéliques. «Le renouvellement de permis aura lieu au cours de la présente année, alors je ne peux pas m'avancer», a indiqué Mme Tremblay.

Quant aux élèves du secondaire, leur situation est encore plus troublante. Le Ministère n'a pas donné de permis aux écoles évangéliques pour le secondaire, si bien que leur diplôme n'est pas reconnu. Mais le Ministère tolère que le «petit nombre d'élèves du secondaire» restent dans les écoles, sous la supervision d'un enseignant qualifié. «Cette façon de faire est viable et valide jusqu'au 30 juin 2009, a dit Mme Tremblay. C'est ce qui a été convenu de faire.»

Jusqu'à 4000 élèves

Les écoles évangéliques ont refusé de répondre aux questions de La Presse, suggérant de téléphoner à leur avocat, Claude Grant. Ce dernier n'a pas répondu à nos appels. À l'Alliance évangéliste du Canada, l'avocat Don Hutchinson a précisé qu'il n'avait «pas d'information à jour sur le statut des écoles évangéliques au Québec», n'ayant pu joindre ses contacts dans la province.

Il est à noter que huit écoles illégales ont fermé leurs portes au Québec depuis 2007, dont l'Académie chrétienne de la Petite-Nation, à Saint-André-Avellin, l'une des écoles évangéliques liées par entente avec le Ministère. «Elles ont fermé leurs portes à la suite d'interventions du Ministère», a indiqué Mme Tremblay. Toutes n'étaient cependant pas évangéliques.

En 2006, l'avocat Claude Grant avait affirmé à Radio-Canada que de 3000 à 4000 enfants étaient éduqués dans une vingtaine d'écoles évangéliques illégales au Québec. Les sept premières écoles évangéliques liées par entente avec le Ministère comptaient, quant à elles, 200 élèves en 2006-2007.

Petit tour guidé

«À l'été 2002, Dieu a dit : Ouvrez une école dans l'église. Le résultat, c'est la Faith Christian Academy.» Voilà comment l'Église baptiste communautaire de Hudson justifie la création de son école clandestine, sur son site internet. Située dans un secteur champêtre, l'école accueillait 43 élèves en 2006-2007, dont 25 au secondaire.

Lors du passage de La Presse, quelques enfants jouaient dans la neige devant l'école, protégés des regards par une palissade.

«C'est le cours d'éducation physique», a expliqué en anglais une enseignante. Rencontrée dans le hall, la directrice a refusé de nous parler, même si son école a obtenu un permis du ministère de l'Éducation pour le primaire (le secondaire est toujours illégal).

Le site internet de la Faith Christian Academy précise que ses profs «utilisent un curriculum centré sur Dieu» et qu'ils «enseignent toutes les matières de façon à révéler un Dieu méthodique, aimant, omniscient et éternel».

La règle des six pouces

À Dollard-des-Ormeaux, une église de briques abrite une autre école évangélique, la Cedar Christian Academy. Fondée illégalement il y a 16 ans «pour obéir aux Écritures» disant qu'il faut préparer les enfants pour la vie «et pour l'éternité», cette école comptait 40 élèves en 2006-2007.

«Un tempérament obéissant est de mise», précise l'école dans son livret de règlements, consulté par La Presse. Si l'élève «critique les politiques et décisions», il risque l'expulsion. La «règle des six pouces» doit aussi être respectée. Ce que cela veut dire? Qu'aucun élève ne doit avoir les mains à moins de six pouces d'un de ses camarades...

Assis à des bureaux séparés par des cloisons, les jeunes doivent garder le silence, poursuit le livret. En cas de difficulté académique, ils lèvent le drapeau chrétien (orné d'une croix rouge) pour avoir l'aide d'un superviseur. Si leur problème est d'une autre nature, c'est le drapeau canadien qui est brandi.

Détenant un permis pour le primaire depuis l'an dernier, la Cedar Christian Academy reste dans l'illégalité pour son cours secondaire. Dans sa lettre d'information d'avril 2006, elle demandait d'ailleurs «de prier pour que les cégeps acceptent nos élèves», privés de diplômes du ministère de l'Éducation.

Jusque dans le Nord-du-Québec

À LaSalle, c'est dans un secteur industriel que se trouve l'Académie chrétienne de la Maison du serviteur, cachée dans l'immeuble de l'Assemblée du plein évangile. Seuls deux paniers de basketball installés dans le stationnement laissent deviner qu'on y trouve des jeunes. Il y avait pourtant 26 élèves en 2006-2007, selon la Commission consultative de l'enseignement privé.

Située au-dessus d'un commerce, rue Somerled à Montréal, l'Académie chrétienne Logos n'existe quant à elle que depuis 2005. En juin 2007, la Commission consultative de l'enseignement privé notait qu'elle n'avait «pas été en mesure de déposer un certificat de zonage ni un permis d'occupation». Un peu plus de 20 élèves la fréquentaient à l'époque.

À Granby, l'Église-école Alpha-Omega, qui relève de l'Assemblée chrétienne de Granby, a vu le jour il y a 20 ans. Elle accueillait 13 élèves, dont six au secondaire, en 2006-2007.

Le Centre académique de l'Outaouais, de l'Église Nouvelle Alliance de Gatineau, existe aussi depuis 20 ans. «Tout au long de l'année scolaire, la direction et le personnel de l'école se donnent afin de participer à l'éducation de votre enfant, au moyen d'une saine discipline, conforme aux voies de notre Seigneur Jésus-Christ», indique la directrice Danielle Grant dans le site internet de l'école. Il y avait 38 élèves en 2006-2007.

Vient enfin l'Académie Dabwetamun, du village cri de Mistissini, dans le Nord-du-Québec. Ouverte en 2006, ses droits de scolarité étaient alors de 350$ par mois, selon le site internet cri Nation.

Quant au voisinage, il ne semble pas dérangé par ces établissements clandestins. «Les enfants de l'école sont gentils et bien élevés, a témoigné Laurette, caissière du dépanneur 4 coins, voisin de la Faith Christian Academy. Ça ne me dérange pas si c'est illégal. C'est une école baptiste privée, ce n'est pas une école publique.»

L'ABC de la méthode School of Tomorrow

La méthode School of Tomorrow «est utilisée depuis 35 ans, dans plus de 170 écoles partout au Canada», affirme son concepteur, l'Accelerated Christian Education. «Dans le monde, 7500 écoles de 151 pays l'emploient», a dit à La Presse Claude Payant, ex-représentant de l'Association des églises-écoles évangélistes du Québec (AEEEQ).

Basé sur la Bible, ce programme scolaire texan est appliqué de manière autodidacte par les enfants, qui progressent à leur rythme à l'aide de manuels et de logiciels informatiques, sans professeurs. «C'est très sérieux, a assuré M. Payant. Ça forme des jeunes travaillants et responsables.»

La femme de M. Payant distribue la méthode à des parents québécois qui éduquent leurs enfants eux-mêmes, à la maison, ce qui est permis par l'État. «Règle générale, ce sont des gens qui désirent des valeurs traditionnelles», a-t-il précisé.

Aujourd'hui, plusieurs choisissent de commander le matériel directement du siège social canadien, situé à Portage La Prairie au Manitoba. Au primaire, des droits de scolarité de 250 $ par écolier sont exigés, sans compter le matériel qui coûte de 360 $ à 590 $ par année.

Dans son rapport annuel 1995-1996, le Vérificateur général du Québec soulignait que «par le passé», le ministère de l'Éducation avait estimé «que les programmes d'études offerts par l'AEEEQ présentaient des similitudes avec ses propres programmes», ce que rappellent ses partisans. Le Ministère a toutefois indiqué à La Presse ne pas avoir fait d'évaluation récente de School of Tomorrow.

«Le ministère de l'Éducation devrait être ferme»

«Le ministère de l'Éducation devrait être ferme: la loi, c'est la loi. Il faut suivre le programme du ministère de l'Éducation, c'est comme ça que ça marche», estime Lorraine Derocher, auteure de Vivre son enfance au sein d'une secte religieuse, paru cette année aux Presses de l'Université du Québec.

Au Québec, «100 % des écoles illégales et clandestines le sont pour des raisons religieuses», affirme-t-elle. Dans le cas des écoles évangéliques, «même si elles ne sont pas très fermées, l'enfant va vivre un processus de socialisation hyperreligieux, qui lui procure une façon particulière de voir le monde». Il est difficile de se défaire de cette lecture religieuse de la réalité par la suite.

Dans ces écoles, «le discours religieux reçu n'est jamais confronté à un autre discours qui encouragerait le jugement critique», souligne Mme Derocher, qui est candidate au doctorat en études du religieux contemporain à l'Université de Sherbrooke.

Cela contrevient à la Convention relative aux droits des enfants, qui stipule que l'éducation doit «préparer l'enfant à assumer ses responsabilités de la vie dans une société libre», ajoute-t-elle.

Écoles légales

Le permis vaut pour le primaire, mais le secondaire reste illégal

1 > Académie chrétienne de la Maison du serviteur à LaSalle

2 > Académie chrétienne Logos, des Ministères Logos Deliverance du Canada à Montréal

3 > Association d'éducation chrétienne Cedar à Dollard-des-Ormeaux

4 > Église-école Académie chrétienne de la Petite-Nation, de l'Église évangélique de la Petite-Nation à Saint-André-Avellin (a fermé ses portes depuis)

5 > Église-école Académie Dabwetamun, dans le village cri de Mistissini

6 > Église-école Alpha-Omega de l'Assemblée chrétienne de Granby, à Granby

7 > Église-école Centre académique de l'Outaouais, de l'Église Nouvelle Alliance à Gatineau

8 > Église-école Faith Christian Academy, de l'Église baptiste communautaire de Hudson à Saint-Lazare

Sources: Commission consultative de l'enseignement privé et ministère de l'Éducation

Écoles fermées

1 > Académie vision biblique, Montréal

2 > École de madame Klyne ou Frank, Lachine

3 > École traditionaliste Notre-Dame du Très Saint Rosaire, Notre-Dame-des-Bois

4 > Église évangélique de Saint-Jérôme, Saint-Jérôme

5 > Greater Grace Christian Academy, Montréal

6 > Institut Laflèche, Saint-Paul-de-Joliette

7 > Mission de l'Esprit-Saint, Montréal-Nord

(L'Église-école Académie chrétienne de la Petite-Nation a aussi fermé ses portes, après avoir eu un permis.)

Note: ces écoles ne sont pas toutes évangéliques

Source: ministère de l'Éducation

Les évangéliques au Québec

La croissance des principales Églises évangéliques est «beaucoup plus rapide au Québec que dans le reste du Canada», selon Frédéric Castel, chargé de cours au Département des sciences des religions de l'UQAM.

Mais le nombre de fidèles est difficile à évaluer, «tant les dénominations se multiplient», précise-t-il. Au Québec, il y avait 35 500 baptistes, 22 700 pentecôtistes, 7600 membres de l'Église missionnaire évangélique et 6700 adventistes en 2001, sans compter les autres dénominations comptant de 500 à 1000 membres. Environ 40 % des fidèles sont francophones, estime M. Castel.

Précision :

Contrairement à ce qui a été écrit dans La Presse du 7 décembre 2008, les sept écoles évangéliques ont obtenu un permis du ministère de l'Éducation pour donner l'enseignement secondaire, valable uniquement pour 2008-2009.

Elles n'avaient pas de permis pour le secondaire auparavant. Nos excuses.