La perspective de faire faillite est source d'angoisse. N'empêche, quand il faut s'y résoudre, il arrive que les conséquences et l'opprobre social soient moins pénibles que ce que l'on avait redouté. Car si l'on peut s'endetter très vite, on peut aussi, après une faillite, écourter de beaucoup les sept années officielles de purgatoire, d'autant plus que les banques ont très hâte de récupérer leurs clients.

Aller chez le syndic et lui «confesser» des dettes de 60 000$ a été «l'humiliation suprême» pour Myriam, qui constate que c'est loin d'être le cas pour tout le monde. «Depuis que ça m'est arrivé, je m'étonne de voir autour de moi quantité de personnes s'endetter sans s'en faire, en disant très ouvertement que, au pis-aller, ils feront faillite.»

Jacques Nantel, professeur à HEC-Montréal, est encore ébahi par cette déclaration d'une jeune femme qui lui a dit récemment qu'elle s'apprêtait à partir pour plusieurs mois en Grèce, à crédit, et qu'au retour, elle ferait tout simplement faillite si elle n'arrivait pas à payer tout cela.

Dans une étude sur l'endettement publiée en octobre, la Banque Toronto Dominion le constate: «La stigmatisation sociale associée à la faillite a diminué. Dans les années 50 ou 60, ceux à qui cela arrivait avaient du mal à le dire ouvertement. De nos jours, ceux qui se retrouvent dans cette situation reçoivent support et compréhension. Plus encore, dans le marché du crédit, ils ne sont plus considérés comme des parias.»

Myriam l'a vécu. Une fois passé le sentiment initial de déshonneur lorsqu'elle a déposé son bilan, tout n'a été que soulagement: «Tu as 60 000$ de dettes, tu as cette boule dans le ventre qui ne te quitte pas. Puis tu vas chez le syndic et, quand tu en ressors, tes dettes sont rayées.»

Contre toute attente, Myriam n'a pas eu à rendre sa voiture, les concessionnaires ayant peu d'appétit pour la reprise de véhicules. Les sofas de cuir n'ont pas été saisis non plus. Quand vous faites faillite, on vous laisse toujours pour 6000$ de meubles, et davantage encore dans les faits puisque les créanciers considèrent aussi les meubles saisis comme sans intérêt. Les REER n'y passent pas non plus, sauf pour ce qui est des cotisations faites au cours des 12 mois qui précèdent la faillite.

«Et c'est sans compter sur tous ces voyages que j'ai faits à crédit. Mes souvenirs, on ne pouvait pas me les reprendre non plus», fait observer Myriam.

Samuel tient le même discours: «J'avais un peu honte de ne pas payer mes dettes. J'ai été surpris par l'accueil chaleureux du syndic. On m'a tout de suite déculpabilisé en me disant que ce n'était pas ma faute, que c'étaient les banques qui m'avaient incité à m'endetter.»

«Je suis très reconnaissant envers mon syndic. J'ai pu reprendre mes finances en main et retrouver ma tranquillité d'esprit», dit-il.

Bien sûr, la cote de crédit écope pour un temps, mais il est faux de penser qu'il faut sept ans après une faillite pour se refaire un crédit. Dans la réalité, après trois ans, il est possible d'emprunter de nouveau si l'on a un emploi et des revenus stables, si l'on n'a pas changé d'adresse pendant ces années-là et que l'on s'est assuré de ne faire aucun chèque sans provision.

«De fait, si on fait faillite à 30 ans et qu'à 32 ans, on trouve un bon emploi, on peut facilement se procurer une nouvelle carte de crédit. Il suffit d'éviter d'aller à la banque à qui on devait de l'argent», relève Clémence Gagnon, conseillère budgétaire à l'ACEF de Québec.

Les magasins sont particulièrement prompts à donner des cartes au premier venu, note Marie Lachance, professeure en sciences de la consommation à l'Université Laval. «Ils offrent 10% de rabais sur l'achat du jour ou un petit stylo, et beaucoup de gens prennent la carte de crédit seulement pour le cadeau.»

Pénalisée?

Maintenant au fait de tout cela, Gisèle, elle, est la première à regretter d'en avoir fait une question d'honneur et de ne pas avoir déposé son bilan. En lieu et place, elle a fait une proposition à ses créanciers, qui ont été payés à 92%, raconte-t-elle. Elle en a pour cinq ans à les rembourser. Ensuite commenceront les années au cours desquelles elle aura à se rebâtir un crédit, tout comme quelqu'un qui a fait faillite. Bref, ça n'en finit plus. «J'ai été très mal conseillée. Mon conseil à ceux qui se seraient retrouvés dans ma situation, c'est le suivant: si vous avez de grosses dettes et n'avez aucun actif à protéger, déclarez faillite. Si je l'avais fait, j'aurais recommencé à zéro, et au lieu de peiner à rembourser mes dettes, j'aurais mis de l'argent de côté.»

(Fait à noter, cependant: une personne qui a fait faillite peut être tenue, dans les 21 mois suivants, de verser une partie de ses revenus mensuels nets s'ils excèdent la limite déterminée par les normes du Bureau du surintendant des faillites. Pour un célibataire, le coût de la vie est évalué à 1884$ par mois. S'il gagne 2184$, il devra rembourser 50% des 300$ excédentaires, donc 150$ par mois.)

«Le but de la Loi sur la faillite, dit le syndic Martin Poirier, c'est de faire en sorte qu'un individu redevienne productif pour la société. Personne ne se glorifie de faire faillite, mais il y a des gens que ça affecte moralement plus que d'autres.»

Il trouve lui aussi regrettable que les personnes qui décident, au lieu de déclarer faillite, de faire une proposition à leurs créanciers, au prix de sacrifices autrement plus importants, se retrouvent avec un dossier presque aussi entaché.

Cela dit, même si l'on peut se refaire un crédit en trois ans après une faillite, «c'est long, quand on est habitué d'avoir une carte de crédit, note Marie Lachance, de l'Université Laval. Et ça repousse d'autant la réalisation de rêves, comme de fonder une famille ou acheter un appartement».

***

La faillite en chiffres

10 000 En 2015, entre 5000 et 10 000 ménages québécois de plus pourraient être forcés de déposer leur bilan. Hélène Bégin, économiste principale chez Desjardins

22,5% Le pourcentage de faillites déclarées au Canada dans la période de 12 mois prenant fin en octobre était de 22,5% plus élevé qu'à la période précédant la récession.

20,6% La proportion de consommateurs insolvables chez les 55 ans et plus a plus que quadruplé au cours des 10 dernières années, passant de 4,6% à 20,6%.

38% Pourcentage de la population active qui n'aurait aucune épargne en vue à la retraite, selon une étude de la Régie des rentes du Québec. Source: Surintendant des faillites.

Source: Sur intendant des faillites