Xavier* est en deuxième année, mais il explose comme un adolescent en crise. Il urine sur le plancher des toilettes de l'école. Il fait pleuvoir tant de coups que les parents des autres élèves se plaignent en rafale.

À 2 ans, Xavier a vu ses parents se quitter. Cinq ans plus tard, c'est une petite terreur. La DPJ de la Côte-Nord a même débarqué dans sa vie. Son verdict: le père du garçon exerce de la violence psychologique en l'exposant à la rancoeur et à la méfiance qui le submergent depuis la rupture.

L'histoire de Xavier est loin d'être unique. Chaque année, la DPJ intervient auprès de quelque 1600 petits Québécois parce que leurs parents séparés s'entredéchirent au point de les traumatiser, révèle une récente étude du Centre jeunesse de Montréal-Institut universitaire.

Deux fois sur trois, il s'agit d'enfants qui ne sont ni violentés ni négligés. Ils vivent souvent dans de belles maisons, fréquentent de bonnes écoles. Leurs parents sont médecins, pilotes, psychologues, policiers, vice-présidents, avocats, vendeurs, éducateurs... «L'instruction et la maturité affective sont deux choses très différentes. Le vécu très difficile de certaines personnes les transforme en bombes», explique Johanne Vachon, DPJ adjointe en Mauricie.

Petits enfants, gros dégâts

Dans son centre jeunesse, comme partout au Québec, les ravages que causent les conflits de séparation sont de plus en plus palpables. À l'école primaire, plusieurs enfants - de parents autrement adéquats - fuguent, se mutilent ou tiennent déjà des propos suicidaires.

- En Montérégie, un garçonnet a été envoyé en pédopsychiatrie parce qu'il grattait la peinture des murs et perdait le contact avec la réalité.

- À Québec, un enfant de 10 ans a dit «vouloir se jeter en bas du pont si la situation de conflit entre les parents ne s'arrêtait pas», rapporte un jugement.

- À Drummondville, une fillette de 6 ans «mord sa mère, la traite de tous les noms et la frappe avec un bâton sans raison», dit une autre décision rendue en 2013.

- Dans la même ville, un garçon de 7 ans a fait des menaces de mort à l'école.

- À Montréal, une fille de 11 ans a lancé des pierres à une autre élève immobilisée par un petit groupe.

«Ils ne sont pas capables de jouer avec les autres parce qu'ils sont nés dans le conflit, explique la conseillère clinique Valérie Morel. Ils ont appris que c'est correct d'être hostile, de ne pas faire de compromis.»

À l'école, ils n'écoutent plus. «Ils sont trop soucieux pour apprendre quoi que ce soit; ils ont toujours ça en tête», dit Martin Laurin, intervenant au centre jeunesse de Laval.

Lorsqu'on demande à ces enfants ce qu'ils pensent des conflits qui déchirent leurs parents, ils n'ont aucune idée, indique Geneviève Mercier, chef de service en Montérégie. «Prendre position, ce serait trahir l'un ou l'autre de leurs parents.»

Dans la plupart des cas, le conflit dure depuis des années, dit-elle. «Quand un adolescent est signalé pour délinquance, consommation de drogue ou troubles alimentaires, on découvre très souvent qu'un conflit parental se cache derrière tout ça. Ce n'est qu'un symptôme.»

En général, les deux parents se provoquent. «C'est rare que les torts sont d'un seul côté», résume Martin Laurin, qui a vu un père se filmer alors qu'il allait porter des cadeaux aux enfants à l'extérieur de son temps de garde, juste pour faire sortir la mère de ses gonds et la discréditer.

L'enfant passe alors au second plan, il n'existe plus que comme arme. Des parents téléphonent «régulièrement» au centre jeunesse pour faire entendre leur petit en crise, rapporte Geneviève Mercier. «Au lieu de réconforter l'enfant, ils accumulent des preuves contre l'autre parent. Ils ne jouent pas leur rôle.»

Signalements malicieux

Autre problème majeur: trois fois plus de parents signalent malicieusement leur enfant quand il y a conflit de garde. On compte alors 12% de faux signalements intentionnels plutôt que 4%, révèle l'Étude canadienne sur l'incidence des signalements des cas de violence et de négligence de 1998.

«Le classique, c'est le signalement en urgence à la veille d'un week-end chez l'autre, résume Geneviève Mercier, chef de service au Centre jeunesse de la Montérégie. C'est bouleversant de voir des enfants souvent soumis à des examens médicaux et des entrevues vidéo. Ils croient qu'il se passe quelque chose de grave.»

«Si l'enfant ne parle pas encore ou est très influencé par son parent, c'est difficile de départager le vrai du faux», renchérit Christine Tremblay, chef du programme maltraitance en Mauricie.

En fin de compte, ce sont la colère et les inquiétudes outrancières des parents en cause qui finissent par convaincre la DPJ que leurs enfants sont en danger.

Autrement responsables et aimants, peu de parents admettent leurs failles. «C'est leur amour qu'il faut aller chercher pour leur ouvrir les yeux», affirme Valérie Morel.

«Parce que l'enfant qui entend que son père est méchant et que sa mère est méchante conclut qu'il est forcément méchant lui aussi. C'est aussi dommageable que les coups ou la négligence.»

* Le nom a été changé pour préserver l'anonymat.