La crue exceptionnelle de la rivière Richelieu touche de plus en plus de municipalités. En même temps que l'eau, l'angoisse et l'épuisement gagnent du terrain chez les sinistrés. Hier, plusieurs irréductibles qui refusaient de quitter leur maison ont dû se rendre aux arguments des autorités et abandonner les lieux, devenus dangereux.

Les pompiers ont dû faire évacuer de force une quinzaine de résidences de Noyan, hier, parce que le niveau de la rivière Richelieu, qui atteint des sommets inégalés depuis une semaine, ne cesse de monter et rend certains secteurs isolés très dangereux. Une dizaine de soldats sont venus leur prêter main-forte avec des chaloupes et des camions blindés.

Dès 11h, l'adjudant Guevens Guimont s'est mis à arpenter la rue Gérard pour inciter les quelques sinistrés qui étaient restés dans leur domicile à partir. La Presse a assisté à cette tournée forte en émotions.

Deux pompiers et l'adjudant Guimont ont d'abord frappé à la porte de Richard Poissant, dont la résidence est totalement entourée d'eau. L'homme, âgé d'une cinquantaine d'années, était sur son balcon avec son chien blanc aux apparences de pit-bull. Vêtu d'une salopette jaune, il attendait les visiteurs de pied ferme, car il ne souhaite pas quitter sa maison.

L'adjudant Guimont a tout d'abord doucement expliqué au sinistré les dangers de rester dans une maison inondée et isolée: «Les véhicules d'urgence ne se rendent plus ici. S'il vous arrive quelque chose, on ne pourra pas vous aider.»

«Il n'y a pas d'eau dans ma maison. Et depuis ce matin, l'eau baisse. Je ne vais pas abandonner ma maison, c'est certain. Moi, je ne m'en vais pas. Apportez-moi des poches de sable, à la place», a rétorqué M. Poissant d'un ton plutôt agressif.

Après de longs pourparlers, M. Poissant a persisté dans son refus de partir. «Vous devez me donner un préavis de 24 heures avant de m'expulser!» a-t-il soutenu. Les militaires ont finalement rebroussé chemin en promettant à M. Poissant de revenir pour s'assurer que tout se passe bien. Le sinistré a salué les sauveteurs avant de rentrer tout guilleret dans sa maison en embrassant son chien.

En pleurs

Un peu plus loin, Richard Leblanc non plus ne voulait pas quitter sa maison. Ses quatre enfants et sa femme sont partis la semaine dernière. Depuis, il lutte constamment contre la crue des eaux. Jusqu'à maintenant, sa maison est épargnée. «Si je pars, l'eau va entrer. Je n'ai presque rien dans la vie. Est-ce qu'on peut au moins me laisser sauver le peu que j'ai? a-t-il demandé, visiblement sous le choc. Au moins, apportez-moi des poches pour faire une digue avant de partir.»

Quand on lui a demandé s'il était fatigué, M. Leblanc s'est mis à pleurer à chaudes larmes. «Je suis épuisé. Je ne dors pas depuis deux semaines. Je ne mange pas beaucoup parce que je ne peux pas sortir de chez nous. Ça fait du bien de voir du monde», a-t-il dit aux représentants de La Presse, au milieu de violents sanglots.

Les militaires sont partis en promettant à M. Leblanc de revenir avec des sacs de sable.

À quelques mètres de là, l'armée a évacué une dame âgée à la santé précaire. Juste à côté, les quatre enfants de la famille Lamer regardaient attentivement les militaires s'affairer, le nez collé à la fenêtre de leur petite maison bleue complètement entourée d'eau. Arielle (8 ans), Brendon (6 ans), Chad (3 ans) et Mélodie (2 ans) semblaient fort impressionnés par les véhicules de l'armée et avaient bien hâte d'y monter.

L'équipe de l'adjudant Guimont a finalement approché une chaloupe du balcon des Lamer et a embarqué toute la petite famille à bord. Les enfants riaient. Le chien Guizmo, un labrador noir, semblait moins enchanté par cette balade sur l'eau.

La mère de famille, Isabelle Piette, a dit qu'on l'avait «fortement encouragée» à quitter sa maison. «On va aller à l'hôtel en attendant. On aurait aimé mieux rester, mais bon...» Le père, Daniel Lamer, a quant à lui salué le travail des sauveteurs. «Ils font un travail super. Ils n'insistent pas trop pour te faire sortir, mais ils te font comprendre que c'est mieux comme ça.»

Selon l'adjudant Guimont, ces évacuations sont nécessaires parce que les ressources médicales ou les pompiers n'ont plus accès à ce secteur de Noyan. «On comprend les gens de vouloir rester. Mais on les aborde avec courtoisie et on leur explique les enjeux», a-t-il dit.

Routes fermées

Jusqu'à maintenant, 1000 personnes ont évacué leur domicile dans les villes riveraines du Richelieu, aux prises avec les pires inondations depuis 150 ans. Philippe Jobin, de la Sécurité civile de la Montérégie, explique que ce sont les municipalités qui décident s'il faut obliger les gens à évacuer.

Ce sont également les municipalités qui décident de fermer les tronçons de route inondés ou sur le point de s'effondrer. Hier matin, la fermeture non annoncée d'une portion du chemin Petite-France, entre Noyan et Henryville, a soulevé la colère d'une trentaine de sinistrés évacués.

Réginald Lizotte et ses voisins ont dû quitter de force leurs résidences situées au bord de l'eau à Henryville, au début de la semaine. Depuis, ils pouvaient se rendre tous les jours à leur domicile entre 10h et 14h. Mais cet accès leur a été interdit temporairement hier matin, car la route menaçait de s'effondrer, selon les autorités.

«On veut aller vérifier nos pompes, nourrir nos animaux, sauver nos maisons! On nous refuse ça, c'est de la cruauté pure!» a crié Denis Boucher. Un accès au rang Goyette a finalement été ouvert quelques heures plus tard.

Plusieurs routes sont toujours fermées à la circulation en Montérégie, notamment la Route 133 à Otterburn Park, la Route 202 à Venise-en-Québec et la 223 entre Carignan et Beloeil.