Les entreprises de Tony Accurso ont utilisé le stratagème des fausses factures non seulement pour frauder le fisc, mais aussi pour brasser des montagnes d'argent liquide, selon des documents de Revenu Canada.

Les billets de banque obtenus dans un tel stratagème servent généralement à «payer des salaires au noir» ou à une «utilisation personnelle de l'administrateur», explique dans un document l'enquêteur Jean-Claude Roy, du programme des enquêtes criminelles de Revenu Canada.

>>> Les dessous d'une fraude

Mardi, Simard-Beaudry et Construction Louisbourg ont plaidé coupable à des accusations de fraude fiscale pour les années 2003 à 2008. La fraude, qui s'élève à 4,1 millions de dollars, a été réalisée notamment à l'aide de fausses factures totalisant 8,6 millions de dollars. Ces factures ont été transmises par des PME pour des services fictifs. Elles ont permis à Louisbourg et à Simard-Beaudry de réduire leurs profits imposables.

Les fausses factures ont été obtenues en échange de chèques émis par les entreprises d'Accurso. En plus des fausses factures, les entreprises d'Accurso ont reçu de l'argent liquide, explique le document. L'argent a été recyclé dans l'économie au noir, estime Revenu Canada.



Salaires camouflés

La déclaration de l'enquêteur de Revenu Canada a été produite en Cour en avril 2009 dans le cadre des perquisitions menées contre les entreprises de Tony Accurso et de Francesco Bruno. Baptisée Projets légaux, l'enquête «portait sur des fausses dépenses d'entreprise dans le but de camoufler des salaires non déclarés versés à des employés et l'utilisation de factures de complaisance».

À l'époque, les enquêteurs du fisc ne savaient pas comment étaient répartis les bénéfices du stratagème entre les sociétés d'Accurso et les tiers. Ils ne disent pas davantage à quelles fins personnelles ont servi les fonds.

Les fausses factures ont été fournies à Simard-Beaudry et à Louisbourg par une dizaine d'entreprises d'un peu partout au Québec, selon un document remis mardi dernier par Revenu Canada.

Au printemps 2009, le mandat de perquisition de Revenu Canada faisait état d'un seul fournisseur de fausses factures, soit le réseau de Francesco Bruno (Entretien Torelli et 3703436 Canada). L'échange de chèques et de fausses factures entre ces entreprises et celles de M. Accurso a totalisé 3,9 millions de dollars.

Francesco Bruno utilisait aussi le stratagème pour une de ses propres entreprises dans le secteur de la construction, appelée B.T. Céramique. Rappelons que cette entreprise a ses bureaux dans un immeuble commercial qui appartient au chef mafieux Vito Rizzuto, emprisonné aux États-Unis, et à son ex-conseiller Paolo Renda, porté disparu depuis le printemps dernier.

Subterfuge

Au cours de son enquête, Revenu Canada a saisi les comptes bancaires des entreprises de Francesco Bruno. L'un des comptes de la société 3703436 Canada ne contenait que des transactions avec des casinos américains.

Revenu Canada a aussi saisi certains documents qui pouvaient laisser croire que les fonds de Francesco Bruno provenaient d'une entreprise de Monaco, un paradis fiscal européen. Cette entreprise, Pilot Société, aurait même signé une entente en 2002 avec Tony Accurso, selon les documents saisis. Il y est question d'une commission de 10% par projet de construction.

Toutefois, après analyse, les enquêteurs de Revenu Canada ont jugé que Pilot Société et les documents saisis à ce sujet sont un subterfuge destiné à masquer la fraude.

L'enquête de Revenu Canada ne précise pas d'où provient l'argent comptant versé par les entreprises de Bruno et les autres fournisseurs de fausses factures.

Simard-Beaudry et Louisbourg ne forment qu'une seule entité aujourd'hui. Le groupe compte 2500 employés et, selon Revenu Canada, son chiffre d'affaires avoisinait les 250 millions en 2008.

L'expert en criminalité financière Michel Picard, du cabinet Schulmeister, croit que cette affaire n'est pas un cas isolé. «Les gens impliqués dans la production de fausses factures font partie d'un réseau beaucoup plus large, de sorte que ça ouvre une boîte de Pandore énorme. Il va y avoir une vaste toile d'araignée de réseaux de contacts», dit-il.