L'ex-directeur général de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis, s'est rapidement mis sur la défensive lors de son témoignage devant la commission Charbonneau. L'homme s'est dit prêt à répondre aux questions difficiles du procureur Me Denis Gallant.

Visiblement nerveux, parlant d'un débit rapide, Jocelyn Dupuis a profité du début de son témoignage pour se dépeindre comme un syndicaliste apprécié de ses membres. Il en veut pour preuve que, sur un chantier alors qu'il était en début de carrière, certains lui auraient versé 20$ par semaine pour qu'il ne travaille plus bénévolement à défendre leurs droits.

Le témoin a également assuré que les élections se déroulaient démocratiquement au sein de la FTQ-Construction. «Avez-vous déjà vu des élections truquées dans votre carrière?» a alors demandé Me Gallant. «Pas souvent», a répondu le témoin.

Pour l'instant, l'interrogatoire s'est surtout attardé au curriculum vitae de Jocelyn Dupuis. «Elles ne sont pas dures mes questions jusqu'à présent», a d'ailleurs glissé Me Gallant au témoin. «Je suis prêt à ça.»

Et les questions difficiles aborderont certainement les dizaines de conversations téléphoniques interceptées par la police que la Commission a entendues ces derniers jours. Ce matin, l'enquête publique a notamment découvert que, poussé vers la sortie de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis a misé sur ses relations avec le crime organisé pour orchestrer sa succession à la tête du syndicat et ainsi en conserver le contrôle. «C'est moi qui ai contrôlé ce vote-là», l'entend-on dire lors d'une conversation interceptée par la police.

Les conversations téléphoniques interceptées indiquent que Jocelyn Dupuis a notamment fait appel au motard Jacques «Israël» Émond dans ses démarches pour assurer des appuis à son clan lors de l'élection. Quelques jours avant le vote, un candidat à l'élection, Dominique Bérubé, est convoqué dans un restaurant du centre-ville de Montréal avec ce membre des Hells Angels. Il retire sa candidature, ce qui semble avoir été fait «à la demande de Jocelyn Dupuis», révèle l'un de ses messages textes.

Peu avant le vote, Jocelyn Dupuis appelle également Marco Bourgouin, qui travaille pour une firme de prêt appartenant à un motard. L'enquêteur Stephan Cloutier décrit celui-ci comme «un collecteur. Il est capable de brasser, il est quelqu'un de violent. Dupuis demande à Bourgouin de se rendre disponible «au cas où j'ai besoin de toi rapidement. Tu comprends?» L'homme s'empresse d'acquiescer.

Dans une autre conversation téléphonique entendue, un collègue de la FTQ-Construction, Rénald Grondin, se réjouit d'entendre les détails de l'élection truquée. «Comme dans le temps de Jimmy Hoffa», lance-t-il, en référence au leader syndical américain disparu en 1975 qui aurait fait du blanchiment d'argent pour la mafia italienne.

Après le vote tenu à la mi-novembre 2008, l'écoute électronique démontre que Jocelyn Dupuis a appelé plusieurs de ses relations dans le crime organisé pour les informer que son clan à l'élection avait remporté l'élection. Parmi eux, Ronald Beaulieu, connu comme un sympathisant des Hells Angels, qui se réjouit de la victoire du clan à Jocelyn Dupuis. «T'as gagné ta victoire, moi aussi je veux la mienne», dit cet homme d'affaires propriétaire du bar de danseuses 10-35, sur la Rive-Sud.

L'écoute électronique révèle également que les proches de Jocelyn Dupuis n'appréciaient pas l'entrepreneur Tony Accurso, présenté comme une «face à claques qui donne des becs».

Arsenault savait, mais n'a pas agi

Par ailleurs, le président de la FTQ, Michel Arsenault, savait que la FTQ-construction était «gangrenée» par le crime organisé, mais a refusé d'intervenir, révèle l'écoute électronique entendue aujourd'hui à la commission Charbonneau.

En mars 2009, en pleine crise publique sur les dépenses faramineuses de Jocelyn Dupuis, Michel Arsenault appelle son conseiller politique Gilles Audette. Il lui révèle que le nouveau directeur général de la FTQ-Construction, Richard Goyette, a demandé l'assentiment du caïd Raynald Desjardins, un proche du mafioso Vito Rizzuto, avant d'obtenir son poste.

Dans leur échange téléphonique, Michel Arsenault relate à son collègue une récente conversation avec Richard Goyette : «Je lui ai dit : 'Je sais que tu as rencontré Raynald Desjardins une couple de fois. Richard, entre toi et moi, pourquoi tu rencontres Desjardins ? 

-Ça me prenait une police d'assurance.

-Pourquoi ?

-Je ne pouvais pas me présenter contre (Jean) Lavallée sans être sûr que Desjardins ne me ferait pas de marde.

-Comme ça tu es redevable à Desjardins ?'»

Le conseiller politique de la FTQ s'indigne alors au président de la FTQ d'apprendre que l'infiltration du crime organisé est plus importante que ce qu'il croyait. «La gangrène est plus pognée qu'on pense», dit Gilles Audette.

Malgré tout, Michel Arsenault ne sent pas le besoin d'intervenir : «J'ai pas avantage à m'ingérer. On va repousser ça sur eux autres. Si on a un affilié tout croche, pourquoi je prendrais ça sur mes épaules ?» dit le président de la FTQ.