Politicien déchu, visé par des accusations de fraude, Frank Zampino soulève bien des doutes alors qu'il s'apprête à témoigner à la commission Charbonneau dans les prochains jours. Mais pendant ses 22 ans en politique, dans une ascension sans faille, M. Zampino a symbolisé la compétence et inspiré le respect. Portrait d'un homme discret et imperturbable jusqu'à être surnommé, en coulisse, le «sphinx».

Frank Zampino est une énigme à résoudre. L'homme décrit à la commission Charbonneau comme «le plus puissant de Montréal» est aussi la discrétion incarnée. Et depuis que le vent souffle autour de lui, on ne se bouscule plus pour être associé à l'ex-président du comité exécutif de la Ville de Montréal. Sauf exception, toutes les personnes interrogées ont réclamé l'anonymat.

«À la lumière de sa réputation d'homme compétent qui connaissait le monde municipal, sa fiscalité et sa complexité comme le fond de sa poche, il n'y avait aucune raison d'avoir des doutes. Maintenant, avec ce que l'on sait...», justifie un ancien collaborateur.

Cette personne raconte que lors de son arrivée en poste, après l'élection de 2001, M. Zampino a fait changer les serrures de son bureau, y restreignant du coup la circulation. «Le cabinet du maire n'avait même pas la clé», précise-t-il.

La garde rapprochée de M. Zampino avait érigé un mur de protection autour de lui, affirme un haut fonctionnaire, soulignant que l'autorité naturelle de l'homme incitait à la loyauté. Il rappelle que l'adjointe de M. Zampino, qui était à ses côtés à la Ville de Saint-Léonard, l'a d'abord suivi à Montréal, puis lorsqu'il a fait le saut dans le secteur privé, chez Dessau.

Dans son entourage, on confirme que M. Zampino privilégiait les contacts directs, laissant à d'autres l'utilisation des nouvelles technologies de communication comme le courriel et les textos.

«C'est un homme de peu de mots, qui va à l'essentiel», mentionne un ancien collègue. Un autre abonde dans le même sens: «On ne parlait pas de la pluie et du beau temps ou de ce qu'il avait fait durant la fin de semaine. Il entretenait des relations professionnelles.»

Tous s'entendent pour dire que Frank Zampino ne fraternisait pas beaucoup et qu'il ne courait pas les mondanités sinon celles qui étaient incontournables pour son travail. Et s'il ne jouait jamais du coude pour se retrouver sous les feux de la rampe, il était toujours prêt à monter au front pour défendre un dossier épineux. «Il ne se défilait jamais», soutient un ancien conseiller politique.

Tout cela ne faisait pas de Frank Zampino un flamboyant politicien. Les commentaires recueillis convergent pour souligner son caractère effacé, froid et cérébral.

«Dans les corridors, on l'appelait le sphinx. Ça tenait à son attitude d'homme imperturbable», raconte un élu. Une fonctionnaire renchérit: «Sa façon d'être correspondait parfaitement à celle d'un sphinx: intelligent, mystérieux et chez qui rien ne transparaissait».

Ou très rarement. Au moins trois personnes ont raconté avoir vu Frank Zampino être ébranlé lors de la fusillade au Collège Dawson (13 septembre 2006), où étudiait l'un de ses fils. «Tout à coup, c'est le père qui a pris le dessus. Il était inquiet. On n'était pas habitués parce qu'il gardait sa famille loin de la sphère publique», se rappelle un de ses proches de l'époque.

Les échanges entre le président du comité exécutif et la fonction publique montréalaise étaient marqués par le respect mutuel. «Les demandes de M. Zampino étaient traitées avec diligence dans la machine et tout le monde s'adressait à lui en disant Monsieur», se remémore-t-on à l'hôtel de ville. Rares étaient les personnes qui se permettaient de l'interpeller en disant «Frank». Son bras droit, Sammy Forcillo, qui a été le directeur de son cabinet au début de son mandat, fait partie de ce cercle restreint.

«On se saluait en italien», raconte M. Forcillo, qui ajoute que la familiarité n'avait toutefois cours qu'en privé. «On a développé une relation d'amitié à cause du milieu de travail et du nombre d'heures parfois incalculables passées à revoir les chiffres. [...] Il était capable de justifier chaque élément d'un dossier. Le mot rigueur lui convient parfaitement. Vous pouvez écrire aussi qu'il était ordonné, minutieux et prudent», souligne le conseiller municipal.

Quant aux scandales impliquant M. Zampino, Sammy Forcillo se montre sceptique. «Je suis surpris de tout ce que j'ai lu dans les journaux. Ça ne correspond pas à ce que j'ai vu», se borne-t-il à dire.

Le «maître de Montréal»

D'autres politiciens, des fonctionnaires ou du personnel politique se montrent plus critiques. «C'était clair qu'il y avait un maire à Montréal et qu'il y avait un maître. M. Zampino contrôlait tout ce que Montréal dépensait», soumet l'un d'eux.

Mais avant d'en arriver à un tel pouvoir, Frank Zampino avait franchi les échelons de la politique municipale à Saint-Léonard, une banlieue de l'est de Montréal. C'est en 1986 que Michel Bissonnet, l'actuel maire de l'arrondissement de Saint-Léonard, a convaincu M. Zampino de se lancer dans l'arène politique bien qu'il n'eût jamais assisté à un conseil municipal.

Deux ans après sa première élection, il prend la tête d'un groupe d'élus mécontents du manque de consultation du maire d'alors, Raymond Renaud. Frank Zampino s'empare littéralement des rênes du pouvoir, qu'il ne lâchera plus. En 1990, sa candidature à la mairie fait consensus auprès des «forces vives» de Saint-Léonard, dont l'ancien député libéral Alfonso Gagliano.

Au tournant des années 2000, avec le projet gouvernemental de faire de Montréal «une île, une ville», Frank Zampino montera aux barricades pour défendre son fief. Ce sera la défaite politique, mais elle servira de tremplin au maire de Saint-Léonard pour regarder plus haut. Il formera avec Gérald Tremblay le tandem gagnant de la nouvelle Ville de Montréal, qu'il mettra à sa main.

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NOTES BIOGRAPHIQUES

1959 Naissance 4 mois après l'arrivée d'Italie de ses parents

1981 Début de la carrière comme vérificateur; mariage avec Maria Pietrantonio

1986 Conseiller municipal à Saint-Léonard

1990 Maire de Saint-Léonard; réélu à quatre reprises

2001 Président du comité exécutif de la nouvelle Ville de Montréal

2008 Départ de la vie politique

2009 Vice-président principal chez Dessau pendant 3 mois

2012 Arrêté et accusé de fraude dans le dossier Contrecoeur

2013 Administrateur de l'entreprise familiale Construction Z2