La scène politique municipale, dans la banlieue nord de Montréal, est dominée par des «guerres de bureaux d'avocats et des guerres de bureaux d'ingénieurs» qui se disputent la mainmise des contrats publics.

C'est du moins ce qu'a affirmé l'ancien entrepreneur en construction Lino Zambito devant la commission Charbonneau, les 3 et 4 octobre derniers, dans un témoignage frappé d'un interdit de publication. Une partie de ce témoignage peut aujourd'hui être rendue publique.

L'ancien entrepreneur a longuement raconté son «expérience» de la vie politique municipale à Boisbriand, une municipalité de la banlieue nord qui compte environ 28 000 habitants.

Entre 2004 et 2009, Infrabec, la firme de construction de M. Zambito, est devenue l'entrepreneur le plus important de la Ville pendant que son dirigeant frayait avec l'entourage politique de la vice-première ministre du Québec de l'époque, Nathalie Normandeau.

«Il y avait des équipes qui étaient faites d'un bureau d'ingénieurs et d'un bureau d'avocats, affirme-t-il. Ça travaillait ensemble, ça trouvait un candidat à la mairie, on le mettait en place, dans le sens qu'on s'occupait de sa campagne électorale, on s'occupait de tenter de le faire élire. C'était la façon de faire dans les municipalités.»

Cette prise en charge partisane comprenait le financement des partis et des campagnes électorales à même les extras payés par la Ville aux entrepreneurs en construction. Ceux-ci versaient ensuite une partie des sommes reçues à des ingénieurs de firmes privées qui leur avaient permis d'obtenir ces extras pour financer des activités partisanes.

Ni mafia, ni fonctionnaires véreux

Le milieu des travaux publics et du génie que découvre Lino Zambito en 2003 en déménageant son entreprise de Laval à Boisbriand est bien différent de Montréal, où son entreprise de construction, Infrabec, accumule les contrats de voirie truqués par un cartel d'entrepreneurs, dont il fait partie.

À Boisbriand, dit-il, les entreprises de construction ne sont pas maîtresses du jeu. Il n'y a pas de collusion pour l'obtention des contrats. Pas de pourboires à verser à la mafia et pas de fonctionnaires véreux à payer. Ce sont des firmes de génie-conseil privées qui préparent les soumissions, et ce sont elles qui surveillent les travaux. Pour les extras, c'est avec elles qu'il faut discuter.

«En bout de ligne, ce sont les entrepreneurs, les firmes d'ingénieurs, et les bureaux d'avocats qui payaient les campagnes électorales de ces partis-là. Donc les ingénieurs ont intérêt aussi à peu à peu augmenter les budgets pour avoir du loose dans les budgets, pour que l'entrepreneur fasse de l'argent et qu'il puisse donner une cut au bureau d'ingénieur. Ça permet de dégager de l'argent pour que, quand on contribue à la campagne électorale d'un parti municipal, l'ingénieur ne soit pas obligé d'aller piger dans ses poches.»

«C'est un peu la mentalité qui est faite dans les banlieues, explique Lino Zambito. C'est de cette façon-là que le processus diffère de Montréal.»

Au MTQ aussi

Lino Zambito a aussi affirmé qu'un système semblable était en place pour des contrats du ministère des Transports du Québec (MTQ) qu'il a réalisés au cours des grandes années, où son chiffre d'affaires a dépassé les 30 millions de dollars.

«C'est exactement la même chose sur des projets du MTQ, a-t-il affirmé. Il y a des firmes d'ingénieurs qui sont mandatées à faire la conception, à faire la surveillance. Ces bureaux se font donner des commandes politiques, ils ont des montants à verser aux caisses électorales des partis politiques. Et je vous le dis, je vous le reconfirme : c'est très rare que ces gens-là vont piger dans leurs poches.»

«Le maillon, la chaîne facile, c'est d'aller vers l'entrepreneur, explique-t-il. On passe des extras, on facture, on vous donne des quantités de plus. Il y a une part qui reste à l'entrepreneur, une part qui va au bureau d'ingénieurs, et eux, ça leur permet de financer les partis politiques.»

Même s'il affirme qu'il n'était pas «un grand joueur au MTQ», il dit avoir été sollicité «par des bureaux d'ingénieurs où il y avait des contributions à faire, puis on m'a dit : "Donne-moi un coup de main, donne-moi 20 000$ ou 30 000$ comptant, puis sur le contrat, je vais te le passer en extra."»