Le problème des «extras» facturés par les entrepreneurs en construction est connu depuis au moins 50 ans, a rapporté le  premier témoin de la commission Charbonneau. Un phénomène que les nombreuses réformes des règles d'attribution des contrats n'ont pas su enrayer.

> Sur le web: le site de la Commission Charbonneau

La Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction a consacré sa première journée d'audiences au témoignage de Jacques Lafrance, un retraité qui a travaillé pendant 35 ans au gouvernement. Celui-ci a été présenté par le procureur de la Commission, Me Sylvain Lussier, comme la «mémoire institutionnelle» de l'attribution des contrats au gouvernement.

Dans un exposé plutôt technique, le témoin a rappelé que les scandales liés à la construction remontent à loin. Le gouvernement avait créé en 1960 la Commission d'enquête sur l'administration de l'Union nationale, de l'ancien premier ministre Maurice Duplessis. Son rapport de 1963 avait critiqué - signe des temps - le ministère de la Colonisation pour son «système immoral, scandaleux, humiliant et inquiétant».

En traçant le parallèle entre l'enquête menée à l'époque par le juge Élie Salvas et la commission Charbonneau, Jacques Lafrance a d'ailleurs soulevé que «les problèmes de suppléments qu'on avait en 1960, on les a toujours».

Quand il est entré au gouvernement en 1973, le témoin dit avoir été étonné de voir que le ministère des Travaux publics faisait toujours appel aux trois mêmes fournisseurs dans ses appels d'offres. En fait, un seul d'entre eux répondait systématiquement, tandis que les deux autres restaient toujours silencieux. «On en était venu à se demander si [les deux autres] existaient vraiment», s'est-il souvenu. Étonnamment, personne n'a jamais même cru bon décrocher le téléphone pour vérifier leur existence.

Jacques Lafrance estime que l'adjudication des contrats s'est améliorée en 1978 quand le gouvernement a créé une liste des fournisseurs du gouvernement. Soudain, «des nouveaux noms qu'on n'avait jamais vus» se sont manifestés.

La plus importante avancée, selon M. Lafrance, est toutefois survenue à la fin des années 80 quand un groupe de travail s'est penché sur les règles d'attribution des contrats. Plusieurs de ses recommandations ont façonné le système actuel. L'ancien premier ministre Robert Bourassa avait demandé à l'ancien mandarin péquiste Louis Bernard de revoir les règles d'attribution des contrats après un scandale révélé par La Presse, à l'automne 1989. Le quotidien avait rapporté les révélations d'un ingénieur très impliqué dans le financement du Parti libéral du Québec (PLQ), Rhéal Deschênes, qui avait mis en lumière le rôle du responsable du financement du PLQ à l'époque, Tommy D'Errico.

Le rapport Bernard avait dénoncé la «confusion» dans les règles des différents ministères. Si la règle d'accorder le contrat au plus bas soumissionnaire s'appliquait, le groupe de travail avait noté un problème de «suppléments» et de dépassements dans le milieu de la construction.

Après avoir salué le resserrement des règles prévu par une loi adoptée en 2006, Jacques Lafrance a toutefois déploré le temps pris pour le faire entrer en vigueur, en 2008. Un délai «trop long» dû à la résistance des entreprises sur la question des suppléments. «On y revient toujours», a laissé tomber le témoin.

«Pas un bar ouvert»

Sur la défensive, l'Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec a profité de son contre-interrogatoire pour faire admettre à M. Lafrance que des dépassements peuvent être justifiés, notamment en cas d'imprévus. «Le projet parfait ne devrait pas présenter de dépassement de coûts, mais je ne sais pas si ça existe», a répondu M. Lafrance. Celui-ci a également reconnu que les «extras» étaient analysés avant d'être autorisés et qu'ils ne représentent «pas un bar ouvert».

Les audiences se poursuivent lundi avec Michel Dumont, du secrétariat du Conseil du Trésor.

Le témoignage de Jacques Duscheneau, ex-directeur de l'Unité anticollusion, devrait débuter mercredi ou jeudi.

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Valeur des contrats publics octroyés en 2011

Total: 29 milliards de dollars

> Municipalités: 8,6 milliards (dont 1,4 milliard de la Ville de Montréal)

> Réseau de la santé: 7 milliards

> Ministères: 4,5 milliards (dont 2,6 milliards du MTQ)

> Réseau de l'éducation: 4,4 milliards

> Hydro-Québec: 3,6 milliards

> Sociétés d'État (sans Hydro-Québec): 744 millions

Source: Conseil du trésor du Québec