Les enfants toussent à qui mieux mieux, les hôpitaux pédiatriques débordent, les virus qui sévissent habituellement en hiver circulent désormais n’importe quand… Est-ce que la COVID-19 a un rôle à jouer dans cette crise sanitaire qui frappe les enfants cet automne ? Et si oui, quel est-il ? Quelques éléments de réponse.

C’est un fait, il y a beaucoup d’enfants malades en ce moment.

Vendredi encore, le taux d’occupation des urgences des hôpitaux pédiatriques montréalais excédait leur capacité : 138 % au CHU Sainte-Justine, 233 % à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Les complications causées par les virus respiratoires, qu’il s’agisse des rhumes, de la grippe (influenza) ou même de la COVID-19, en sont la cause principale. Mais c’est le fameux virus respiratoire syncytial (VRS) qui accapare particulièrement les ressources hospitalières : ce virus très contagieux attaque normalement les enfants pour la première fois avant l’âge de 2 ans. Et avec ses petites voies respiratoires, un jeune enfant est moins bien équipé pour expulser les sécrétions générées par l’infection. « Le VRS est la première cause d’hospitalisation chez les enfants, bien avant la grippe ou les autres virus respiratoires », dit le DGaston De Serres, de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Or, en raison des barrières sanitaires pour limiter la transmission de la COVID-19, le VRS a très peu circulé depuis 2020. Il y a donc, en ce moment, un grand nombre de tout-petits qui n’y avaient jamais été exposés.

Les enfants sont nombreux à être malades, mais ils ne sont pas « anormalement malades ».

La proportion d’enfants qui doivent être hospitalisés en raison du VRS (environ 1 %) ne semble pas avoir changé, selon les observateurs. « Je ne pense pas que les enfants qu’on doit hospitaliser soient anormalement malades, dit le DJesse Papenburg, spécialiste en infectiologie pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants. C’est mon impression et, selon les études que j’ai vues publiées au Royaume-Uni ou en Australie, on n’a pas vu non plus de différence dans la sévérité de la maladie, ou dans la proportion des enfants qui ont besoin de plus de soins, ou dont les séjours à l’hôpital sont prolongés. » Par contre, des études montrent que la moyenne d’âge des enfants hospitalisés est un peu plus élevée qu’avant la pandémie. « On voit un peu plus d’enfants âgés de 8 à 12 mois, dit le DPapenburg. Il s’agit peut-être d’enfants qui auraient quand même été hospitalisés s’ils avaient attrapé ces infections plus tôt dans leur vie. »

La circulation des virus respiratoires est anormalement élevée… pour un mois de novembre.

« Depuis la pandémie, les virus ont changé de comportement, dit la Dre Rodica Gilca, responsable de la surveillance des hospitalisations associées aux virus respiratoires à l’INSPQ. Habituellement, on les voyait en hiver et au printemps, et maintenant, ils sont là dès cet automne. » Les mesures de distanciation physique imposées depuis 2020 ont limité la circulation de tous les virus. Ils se sont remis à circuler quand les mesures ont été levées. Ainsi, à l’été 2021, les urgences pédiatriques ont été happées par un nombre étonnamment élevé de cas de VRS. « Heureusement, il n’y avait pas beaucoup d’autres virus respiratoires qui circulaient à ce moment-là, se souvient le DPapenburg. Ça s’est estompé relativement rapidement. Au mois de janvier, il n’y avait presque plus de VRS qui circulait. » La saison actuelle se terminera peut-être abruptement… à un moment donné. « C’est possible qu’on ait passé le pic des infections au VRS, dit la Dre Gilca. Mais c’est possible aussi que ça monte encore un peu. »

Il n’est pas exclu qu’une infection à la COVID-19 engendre un affaiblissement du système immunitaire.

C’est l’hypothèse formulée, entre autres, par un épidémiologiste torontois, Colin Furness, pour expliquer le grand nombre d’enfants malades actuellement, et dont les propos ont été partagés cette semaine sur les réseaux sociaux. Le DFurness fait un lien avec la rougeole, dont l’infection efface une partie de la mémoire du système immunitaire. Cette « perte de mémoire » due à l’infection à la rougeole est cependant temporaire (quelques mois tout au plus). Donc, est-ce que les personnes qui ont eu la COVID-19 sont plus vulnérables, pendant une certaine période, aux autres virus ? « C’est une hypothèse intéressante, dit le DPapenburg. C’est vrai qu’on ne connaît pas bien l’effet immunomodulateur d’une infection à la COVID qui n’est pas sévère. » « C’est quelque chose qu’il faut explorer », ajoute le DGuy Boivin, professeur au département de microbiologie-infectiologie et d’immunologie de l’Université Laval. Il souligne cependant que certaines infections protègent de l’assaut d’autres virus. Ses travaux sur l’interférence entre les virus montrent, par exemple, que le bataillon immunitaire déployé pour combattre une infection à l’influenza permet de bloquer une infection au SARS-CoV-2 (le coronavirus responsable de la COVID-19) pendant quelques jours — et vice versa.

Faudrait-il ramener le masque dans les écoles ?

L’expérience a fait ses preuves : le port du masque limite la circulation et la transmission des virus respiratoires. Dans un contexte où les hôpitaux pédiatriques débordent en raison d’un grand nombre d’infections, faudrait-il ralentir la propagation des virus… en ramenant le masque à l’école ? Le DJesse Papenburg est bien conscient qu’une telle proposition suscite très peu d’enthousiasme… « Mais l’idée est qu’on pourrait instaurer, durant une certaine période, le port du masque dans les écoles pour nous aider à traverser la crise, dit-il. On peut encourager le port du masque sans le rendre obligatoire, mais on sait très bien que c’est plus efficace si tout le monde le porte. »