Si la fin annoncée du passeport vaccinal dès le 14 mars au Québec surprend certains experts, tous s’accordent sur un point : le gouvernement Legault se livre ainsi à un jeu d’équilibriste, en tentant de calmer les esprits tout en maintenant une approche « plus prudente » et graduelle qu’en Ontario.

« C’est un peu vite, je pense. On ne sait pas ce qui va arriver avec la situation épidémiologique. Mais le Québec avait besoin de calmer le jeu avec les nombreuses protestations et la pression populaire », affirme le DAndré Veillette, chercheur à l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM).

Dès mercredi, le passeport vaccinal ne sera plus requis dans les grandes surfaces, à la Société des alcools ou à la Société québécoise du cannabis. Puis, le 21 février, on ne l’imposera plus dans les lieux de culte et les funérailles. Enfin, le 14 mars, tous les commerces n’auront plus à le demander. « C’est un plan compréhensible dans la mesure où ils assument que les choses vont continuer à s’améliorer. Il faudra juste ne pas hésiter à changer si les choses se détériorent, même si c’est difficile », affirme M. Veillette.

Le son de cloche est similaire pour la Dre Marie-Pascale Pomey, spécialiste des politiques publiques à l’École de santé publique de l’Université de Montréal (ESPUM). « Ça va assez rapidement et la fatigue de la population a évidemment précipité les décisions. Dans un monde idéal, on aurait pu attendre jusqu’au mois d’avril avant d’ouvrir plus largement. Certes, beaucoup de gens ont contracté Omicron, comme dit le gouvernement, mais on n’est pas encore dans une cohabitation tout à fait endémique avec le virus », soutient-elle.

Il faudra être très vigilants sur le message qu’on envoie aux Québécois. Le passeport vaccinal reste la mesure qui a permis d’accélérer la vaccination, qui a été un incitatif pour beaucoup de gens.

La Dre Marie-Pascale Pomey, de l’ESPUM

Partie remise ?

En conférence de presse mardi, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a de son côté assuré que la levée du passeport vaccinal n’avait rien à avoir avec les manifestations anti-règles sanitaires au Canada. « Pas du tout. On le fait parce que c’est le bon temps pour le faire », a-t-il rétorqué.

À l’Université du Québec à Montréal (UQAM), le virologue et professeur au département des sciences biologiques Benoit Barbeau rappelle que le passeport vaccinal sera tout de même retiré avec beaucoup plus de prudence au Québec qu’ailleurs. « Je m’attendais à ce qu’on tienne plus longtemps à cette mesure au Québec, bien franchement. Mais je suis content de voir qu’on le retire graduellement, en commençant dans la direction contraire d’imposition, donc les grandes surfaces. C’est plus prudent que l’Ontario, qui y va d’un coup dès le 1er mars », soutient-il.

Maintenant, s’il y a un impact à surveiller, ce sera surtout au niveau des personnes non vaccinées.

Benoit Barbeau, virologue

Cela dit, le virologue craint surtout que la fin du passeport vaccinal signifie un ralentissement encore plus marqué de la campagne de vaccination.

Jusqu’ici, 86,5 % des Québécois ont reçu une dose de vaccin, 81,7 % en ont eu deux et 46,8 % de la population a maintenant reçu sa dose de rappel. Actuellement, le Québec administre en moyenne 27 000 doses par jour, une tendance qui est à la baisse de 33 % sur une semaine. Les jeunes adultes sont particulièrement peu nombreux à aller chercher leur troisième dose. À peine 28 % des 18 à 24 ans ont eu leur dose de rappel, contre plus de 80 % chez les 65 ans et plus.

Et le fédéral ?

Les trois experts sondés par La Presse accueillent par ailleurs beaucoup mieux le plan du gouvernement Trudeau aux frontières, qui mettra fin au dépistage systématique dans les aéroports, à l’obligation d’avoir impérativement recours à un test PCR, à la quarantaine obligatoire pour les enfants de moins de 12 ans et à l’obligation de s’isoler en attendant le résultat d’un test à l’arrivée, et ce, dès le 28 février.

« C’est beaucoup plus raisonnable. Au niveau international, on n’était pas beaucoup à avoir des mesures aussi fortes pour un bénéfice plutôt maigre. Ce ne sont pas les voyageurs qui sont les principaux vecteurs d’Omicron. C’est tout à fait logique qu’on change cela », dit la Dre Pomey.

Le DVeillette seconde en ce sens, mais appelle toutefois Ottawa à ne pas « négliger la protection supplémentaire du personnel dans les avions et les aéroports ». « Il faudra aussi s’assurer de la qualité des tests antigéniques qui vont être faits, au lieu du PCR », avance-t-il. « Au fond, le seul petit bémol de cette décision-là, c’est la possibilité qu’on laisse entrer de nouveaux variants. Mais au point où on est rendus, Omicron a traversé le Québec, le Canada et la planète au complet. Ce ne sont pas les gens de l’extérieur qui vont changer quoi que ce soit pour le moment, à mon sens », conclut M. Barbeau.