Si le gouvernement veut rendre la troisième dose obligatoire pour valider le passeport vaccinal, cette mesure pourra difficilement être implantée avant le printemps, voire l’été, estiment des spécialistes.

En janvier, dans l’une de ses premières conférences de presse de l’année, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, avait annoncé son intention de rendre la troisième dose obligatoire pour détenir un passeport vaccinal valide. « Je veux être clair : on va élargir le passeport vaccinal à trois doses », avait dit le ministre. Cette modification entrera en vigueur « au cours des prochains mois », avait-il promis.

Un mois plus tard, la date de l’entrée en vigueur de cette nouvelle règle est toujours inconnue. « Je pense qu’il est encore trop tôt pour regarder quelles seraient les nouvelles conditions du passeport vaccinal », a indiqué cette semaine M. Dubé. Il faut, a-t-il ajouté, « laisser le temps aux personnes d’aller chercher leur troisième dose ».

Pour les personnes doublement vaccinées qui n’ont pas été infectées par la COVID-19 depuis décembre (soit depuis l’arrivée d’Omicron), ou qui ne sont pas certaines d’avoir attrapé la maladie, la réponse est simple : « Il ne faut pas hésiter à aller la chercher », a dit le directeur national de santé publique, le DLuc Boileau.

Mais pour tous les gens doublement vaccinés, nombreux mais difficilement quantifiables, qui ont été infectés par la COVID-19 depuis les Fêtes, la recommandation d’attendre de 8 à 12 semaines avant de recevoir la dose de rappel repousse d’autant le moment où le gouvernement devrait modifier les exigences du passeport vaccinal.

« Pas une urgence »

C’est notamment l’avis du DKarl Weiss, microbiologiste de l’Hôpital général juif de Montréal. « Je veux être bien bien clair sur un point : il va falloir que tout le monde reçoive sa troisième dose », dit-il. Mais il vaut mieux laisser passer cette vague Omicron et permettre à toutes les personnes infectées dans son sillage d’attendre trois mois avant d’avoir une nouvelle dose, ajoute-t-il.

Donc, un passeport vaccinal à trois doses l’été prochain ? « Oui, par exemple », dit le DWeiss. « Ce n’est pas une urgence, à mon sens. Il ne faudrait pas qu’un élément administratif vienne interférer avec le bon déroulement de la science. On a eu beaucoup de Québécois qui ont eu la COVID durant la période des Fêtes. Ces personnes, surtout des gens en pleine santé, n’ont aucun intérêt à aller chercher leur troisième dose dès maintenant. »

Rien ne sert « d’être vacciné dans le beurre », illustre la Dre Maryse Guay, qui souhaite aussi que les vaccinés qui ont attrapé la COVID-19 ne se ruent pas sur la dose de rappel simplement pour répondre à une formalité administrative.

La réponse scientifique est que les personnes qui ont eu deux doses de vaccin et une infection avec Omicron sont particulièrement bien protégées.

La Dre Maryse Guay

« Si le gouvernement persiste dans sa décision, je pense qu’il pourrait au moins attendre au printemps », évalue la Dre Guay.

D’autant, souligne le DWeiss, que si la dose de rappel, conçue contre la souche originale du SARS-CoV-2, protège bien contre le variant Omicron, les prochains vaccins qui devraient être distribués au printemps (le DWeiss évoque le mois de mai) seront mieux adaptés à l’évolution du virus.

La dose de rappel pour les personnes doublement vaccinées est particulièrement importante chez les gens âgés, rappelle le DWeiss. « Si vous avez moins de 60 ans, que vous êtes en bonne santé et doublement vacciné, vous êtes quasiment certain de ne pas devoir aller à l’hôpital à cause de la COVID-19 », rappelle le microbiologiste. « La troisième dose, quant à elle, joue un rôle essentiel pour une immunité à plus long terme. » De fait, la grande majorité des vaccinés les plus âgés ont reçu leur dose de rappel – une proportion qui passe de 78 % pour les 60-69 ans à 86 % pour les 70 ans et plus, et même à 91 % pour les personnes qui habitent en résidence privée pour aînés.

En dehors du Québec

« J’ai l’impression que les gens très motivés à aller chercher la troisième dose sont allés la recevoir, dit l’anthropologue médicale Ève Dubé, de l’Institut national de santé publique (INSPQ). À partir de maintenant, on aura peut-être des groupes plus difficiles à rejoindre. »

L’appétit des Québécois pour la dose de rappel se compare avantageusement au reste du Canada, même si la campagne a mis plus de temps à décoller qu’ailleurs.

Dans le reste du monde, le Québec est légèrement derrière la France, où les exigences de validité du « passe vaccinal » exigent désormais la dose de rappel… sauf pour les gens doublement vaccinés qui ont été infectés par Omicron, a annoncé jeudi le gouvernement français.

L’annonce de l’instauration du passeport vaccinal l’été dernier a incité de nombreuses personnes à se rendre au centre de vaccination, rappelle Mme Dubé. « On sait que ça a eu un impact sur les couvertures vaccinales, particulièrement chez les jeunes adultes. » Pour la dose de rappel, les enquêtes menées par l’INSPQ montrent que l’intention de la recevoir est moins élevée à mesure que l’âge diminue. D’autres éléments, comme l’annonce des assouplissements, les effets secondaires associés au vaccin et la « perception de l’utilité » de cette dose ont aussi une incidence sur la motivation à se rendre au centre de vaccination.

Pas de dose de rappel pour les adolescents pour l’instant

Si la dose de rappel devient indispensable pour valider le passeport vaccinal, cette mesure ne pourra pas s’appliquer pour le moment aux adolescents. Dans un avis publié le 28 janvier, le Conseil consultatif national d’immunisation, l’instance qui conseille le gouvernement fédéral en matière de vaccination, ne recommande pas la dose de rappel pour les 12-17 ans, à l’exception de ceux qui peuvent présenter un risque élevé de COVID-19 sévère en raison de leur état de santé. Le passeport vaccinal québécois s’applique à partir de l’âge de 13 ans.

En savoir plus
  • 63 %
    Proportion des Québécois qui se disent favorables à ce que le Canada envoie des vaccins aux pays en voie de développement avant d’offrir une troisième dose
    SOURCE : INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE DU QUÉBEC, JANVIER 2022