Le nombre de patients atteints de la COVID-19 hospitalisés au Québec a doublé en une semaine. Congestionnés, les établissements de santé font actuellement face à un important dilemme : que faire avec les centaines de patients qui n’ont plus besoin de soins actifs à l’hôpital et qui attendent une place en CHSLD, en résidence pour aînés ou en réadaptation, mais qui sont parfois positifs au virus ou à risque de l’être ?

Uniquement à Montréal, le nombre des patients qui nécessitent des « niveaux de soins alternatifs (NSA) » est passé de 500 à 608 durant la dernière semaine, explique le président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec (ASMUQ), le DGilbert Boucher. « On a de plus en plus de ces patients qui ne peuvent pas rentrer à la maison, mais qui n’ont nulle part où aller. Ils n’ont plus besoin des soins de l’hôpital », dit le DBoucher.

Déjà, en temps normal, ces patients NSA donnent des maux de tête aux hôpitaux, qui voient beaucoup de leurs lits occupés par des patients qui n’ont plus besoin d’y être et qui attendent une place à l’extérieur. Et actuellement, alors que la demande de lits d’hôpital est immense, la pression est encore plus forte.

Ces patients en fin de soins actifs peuvent être encore positifs à la COVID-19. Plusieurs milieux de vie refusent alors de les reprendre, note le DBoucher. Les autres patients doivent obtenir un test de dépistage négatif en 24 heures pour pouvoir être admis dans plusieurs milieux. Une exigence souvent difficile à remplir ces jours-ci. « Il va falloir réfléchir à ce qu’on voudra faire avec ces patients. Il y en a de plus en plus qui entrent à l’hôpital, mais qui n’en sortent plus », affirme le président de l’Association des spécialistes en médecine interne du Québec, le DHoang Duong.

Le traumatisme de la première vague de COVID-19, où des aînés parfois contaminés ont été envoyés en milieux de vie pour aînés, entraînant des éclosions, est encore vif.

Des documents déposés à l’enquête de la coroner Géhane Kamel, qui se penche sur les décès survenus en CHSLD durant la première vague, ont exposé les problèmes liés aux transferts de patients des hôpitaux vers les CHSLD en mars 2020. Le gouvernement avait interrompu ces transferts le 8 avril 2020 devant la crise qui ravageait plusieurs CHSLD aux prises avec des éclosions et un manque de personnel.

La situation en CHSLD et en résidence pour aînés (RPA) n’est toutefois plus la même qu’à la première vague. Notamment parce que de l’équipement de protection est disponible et que les résidants sont pour la plupart triplement vaccinés. Depuis deux semaines, 9 % des décès liés à la COVID-19 surviennent en CHSLD et 7 % en RPA. À la première vague, 69 % des décès touchaient des résidants en CHSLD et 16 % ceux de RPA.

Le DBoucher dit « comprendre » que certains propriétaires de RPA puissent être réticents à accueillir des résidants positifs ou à risque de l’être. « Mais il faut réfléchir à la question. Parce que les hôpitaux manquent de lits. […] Il n’y a pas de solution à risque zéro. Si on n’était pas si occupé, on garderait ces patients à l’hôpital. Mais on en est rendu à [envisager d’annuler des opérations] de cancers… », note le DBoucher.

Durée moyenne de séjour d’un patient hospitalisé pour la COVID-19 en décembre au Québec 

  • Aux étages « réguliers » : 10 jours
  • Aux soins intensifs : 18 jours

Source : INSPQ

« On ne veut pas répéter les erreurs de la première vague, affirme le DDuong. On sait qu’il manque de personnel dans les ressources à l’extérieur de l’hôpital aussi. Mais ça prendrait des solutions pour ces patients qui restent trop longtemps [à l’hôpital]. »

Délestage partout

Le nombre de patients hospitalisés a franchi la barre des 2000 vendredi au Québec. Le tout alors que plus de 20 000 travailleurs sont absents à cause du virus. « Depuis une semaine, la situation a pris une tournure inquiétante », estime le DDuong. À l’hôpital Pierre-Le Gardeur, où il travaille, le nombre de patients hospitalisés avec la COVID-19 est passé de 15 à 45 en 7 jours.

À l’heure actuelle, la plupart des régions du Québec se trouvent à un niveau 3 de délestage et se tiennent sur un pied d’alerte pour passer au niveau 4, le plus haut palier. L’Estrie se trouve déjà à ce niveau depuis une semaine.

Au CUSM, les blocs opératoires fonctionnent à 50 %. Le quotidien Montreal Gazette a rapporté vendredi que des opérations cardiaques et pour des cancers devaient être actuellement reportées.

Un comité de priorisation est en place pour s’assurer de bien analyser la situation de chaque patient en attente. Ce système nous permet d’identifier les patients ayant besoin de chirurgies urgentes, incluant les chirurgies cardiaques et oncologiques, et toutes celles qui peuvent être réalisées le sont.

Annie-Claire Fournier, porte-parole du CUSM

Au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, les blocs opératoires fonctionnent à 30 %. Président de l’Association québécoise de chirurgie, le DMario Viens affirme que le nombre exact de Québécois en attente d’une opération est actuellement inconnu. La dernière donnée publiée à ce jour date de début décembre, et 19 000 personnes attendaient depuis plus d’un an de se faire opérer. « C’est sûr que les listes d’attente ne baissent pas actuellement », note le DViens. Les rares opérations qui restent au programme sont souvent annulées, car des patients se révèlent à la dernière minute positifs à la COVID-19. « Planifier, c’est extrêmement dur actuellement », remarque le DViens.

Au CIUSSS de l’Estrie-CHUS, le nombre de lits COVID passera de 16 à 22 aux soins intensifs, dit le DViens. Et en soins de courte durée, ils passeront de 60 à 106. Ce dernier affirme que des discussions sont en cours pour ouvrir encore plus de lits pour la COVID-19. Des salles de réveil pourraient notamment accueillir des patients en soins intensifs. « On [en est réduit] à gratter les fonds de tiroir pour soigner tous ces gens », dit le DViens, qui estime que les semaines à venir seront « complexes ».

Les urgences de Lachine resteront fermées

À Montréal, les urgences de l’hôpital de Lachine resteront partiellement fermées pour une période indéterminée, a appris La Presse. Sa réouverture était prévue pour le 10 janvier, mais la pénurie de personnel ne le permet plus.

« C’est une situation inacceptable. Les urgences sont des services essentiels qui ne doivent pas fermer. Aucune “réorganisation” ne doit inclure une fermeture des urgences », dénonce le DPaul Saba, président du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens de l’hôpital de Lachine.

Sur le terrain, le moral des troupes est « excessivement bas », témoigne le DGeorges Zaarour, qui s’inquiète de la rétention du personnel dans ces conditions de travail. Juste dans son unité, il manque près d’une vingtaine d’employés. « À [ce jour], on a réussi à garder notre groupe de médecins unis, mais avec une [fermeture partielle d’une] durée indéterminée, je ne sais pas trop comment ça va évoluer dans les prochains mois. »

L’enjeu qui le tient éveillé, toutefois, ce sont les Lachinois qui devront être servis dans des urgences anglophones, l’hôpital de Lachine étant le seul hôpital francophone de l’ouest de l’île. « C’est aussi une patientèle défavorisée, qui a l’habitude de venir à pied [aux urgences] », dit l’urgentologue.

Avec la collaboration de Pierre-André Normandin, La Presse