Pourquoi les médecins affiliés au CHSLD Herron ne sont pas allés porter main forte, au printemps 2020, alors que des ainés étaient « dans leur merde et dans leur pisse », affamés et assoiffés faute de personnel ?

La coroner Géhane Kamel n’a pas mis de gants pour poser la question à la Dre Orly Hermon, qui fait partie du trio de médecin qui suivait les bénéficiaires de l’établissement de Dorval à l’époque de la première vague.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

La coroner Géhane Kamel

La médecin venait de témoigner à l’enquête publique qu’elle n’avait pas été mise au courant de l’ampleur de la crise au CHSLD avant d’en entendre parler dans les médias le 10 avril 2020. Sa collègue la Dre Lilia Lavallée a indiqué sensiblement la même chose.

C’est pourtant Dre Hermon qui a envoyé, le 29 mars, un « SOS » par texto à la Dre Nadine Larente, Directrice des services professionnels et directrice adjointe du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, parce qu’il n’y avait pratiquement plus de personnel dans l’établissement.

La Dre Larente l’a assurée qu’elle enverrait des infirmières. Elle s’est plutôt rendue en personne. Rappelons qu’elle a demandé du renfort à son mari et ses enfants. Elle a appelé Dre Hermon en arrivant sur place.

« L’information que j’avais était que le CIUSSS était là. Qu’ils allaient assumer la tutelle. Selon ma compréhension, c’était parce qu’il n’y avait pas assez de staff », a témoigné la médecin, qui a assuré que jamais, avant le 10 avril, elle n’a su que les besoins de base de ses patients étaient négligés.

Une réponse qui n’a pas satisfait la coroner. « Dre Larente voit des gens qui sont dans leur merde. Qui sont dans leur pisse. Il y a des gens qui n’ont pas mangé. Qui n’ont pas bu. Comment c’est possible que les trois médecins ne soient pas au courant de ça avant la conférence de presse [du CIUSSS le 10 avril après la publication de reportages dans les médias]. »

Précisons que la Dre Adriana Ionescu, troisième médecin affiliée à Herron et qui témoignera jeudi, est allée au CHSLD dans la nuit du 29 au 30 mars en même temps que Dre Larente. Selon ses collègues, elle n’a jamais décrit la scène cauchemardesque qui s’y déroulait.

Je comprends qu’il y a une directive [du gouvernement], je ne remets pas ça en compte, mais il y a des médecins ailleurs dans des CHSLD qui ont décidé de se rendre quand même. Le lendemain c’est clair pour tout le monde que c’est le bordel [à Herron]. Je comprends que vous n’avez pas d’équipement. Mais peut-être qu’il y a une attente que les médecins aient pu prendre en charge, crier plus fort, mettre la main à la pâte. C’est dur de croire que le lendemain on ne sait pas l’état de la situation.

Géhane Kamel, coroner

Les Drs Hermon et Lavallée ont expliqué avoir cessé leur visite hebdomadaire à Herron à la mi-mars après avoir reçu une directive de la FMOQ encourageant la télémédecine dans les établissements de soins de longue durée.

À partir de la fin mars, quand le personnel s’est mis à tomber au combat, « on a discuté plusieurs fois [d’y aller] », a assuré Dre Hermon.

« Toutefois, il y avait l’enjeu majeur du manque d’équipement et nous avons réalisé que d’y aller serait contreproductif. On voyait que les infirmières tombaient malades une après l’autre et que ça nous arriverait et qu’on ne serait pas disponible pour nos patients et nos infirmières. »

« On savait qu’il n’y avait pas de zones et de tests [de dépistage dans le CHSLD] on aurait pu devenir des vecteurs et on aurait pris de l’équipement précieux dont le personnel sur place avait vraiment besoin, a-t-elle ajouté. Nous aurions aussi risqué de transmettre la maladie dans nos autres résidences. »

Les médecins ont plutôt décidé d’être de garde 24 h sur 24 en télémédecine. Elles ont eu de nombreuses conversations avec des infirmières au sujet de leurs patients. « C’était clair que les patients devenaient très malades, a témoigné Dre Lavallée, mais on n’avait pas d’indication qu’il y avait des manques et des déficiences à d’autres niveaux que le plan médical. »

La médecin a raconté avoir demandé, le 7 avril lors d’une conférence téléphonique avec des dirigeants du CIUSSS, si elle et ses collègues devaient se rendre sur place. « On leur a demandé si ce qu’on faisait était correct. On travaillait 24 h sur 24. [Dre Larente] nous a dit : continuez de faire ce que vous faites de la maison. »

Le trio de médecins s’est rendu sur place le 11 avril après la médiatisation de l’affaire.

Une version précédente de ce texte disait qu’une directive a été envoyée par la FMSQ aux médecins à la mi-mars encourageant la télémédecine dans les établissements de soins de longue durée. C’est plutôt la FMOQ qui a envoyé cette directive.