Les bains « étaient les premiers à sauter » à cause du manque de personnel au CHSLD Herron, bien avant la pandémie. Les serviettes étaient si rares qu’il fallait souvent en utiliser un bout pour laver et l’autre pour sécher un résident. Il fallait courir d’un étage à l’autre pour trouver des piles. C’était difficile de mettre la main sur un thermomètre fonctionnel.

C’est ce qu’a confié une ex-employée, qui a travaillé à Herron comme préposée aux bénéficiaires et infirmière auxiliaire, lors de l’enquête publique de la coroner Géhane Kamel sur la vague de décès dans certains CHSLD.

La soignante, dont le nom est protégé d’un interdit de publication, a été embauchée à Herron en juin 2018. Elle a fait état des nombreuses difficultés qui ont fait partie de son quotidien.

« Si par exemple je voulais prendre la pression, je ne trouverais pas de machine à pression. Ou si j’avais la machine en main, il n’y avait pas de piles. Si je voulais prendre la température d’un résident, je ne trouverais pas de thermomètre. Je devais courir d’un étage à l’autre pour en trouver un fonctionnel, puis le ramener où je l’avais pris. »

La soignante a raconté qu’elle devait « supplier » pour avoir des serviettes. Des collègues en cachaient même dans des chambres pour en avoir sous la main. « Souvent, on utilisait la même serviette pour laver et sécher un résident. »

La témoin a aussi expliqué que, faute de personnel, il arrivait « assez régulièrement » qu’un usager ne reçoive pas son bain. Officiellement, les bénéficiaires avaient le droit à deux douches ou bains par semaine, selon leur choix. Le jour prévu, il arrivait que les plus autonomes ne reçoivent qu’une douche rapide. D’autres n’étaient lavés qu’à la débarbouillette.

« C’était chaotique »

Plus tôt lundi, l’ancienne directrice des soins de l’établissement a raconté qu’il y avait des lacunes et des pratiques douteuses bien avant la pandémie au CHSLD Herron.

Véronique Bossé, infirmière au Centre hospitalier universitaire de Montréal, a occupé ce poste un peu moins de six mois, entre septembre 2019 et janvier 2020.

« Quand je suis arrivée, il a fallu que j’arrange des lacunes qui étaient là avant mon arrivée », a-t-elle témoigné devant la coroner. Elle a notamment évoqué un « gros manque » de personnel et d’équipement.

« Le personnel me faisait part du fait, par exemple, qu’il y avait trois piqués pour 140 usagers. Les préposés avaient l’équivalent de cinq débarbouillettes pour laver 15 personnes », a-t-elle énuméré.

Elle a aussi constaté que certains préposés aux bénéficiaires avaient l’habitude de mettre aux résidants incontinents plus d’une épaisseur de couche (jusqu’à trois unes par-dessus l’autre) pour ne pas avoir à changer les bénéficiaires aussi souvent. Des gants, des compresses, des tubes de solutés étaient périmés. Il y avait un « gros manque d’organisation » et pas de plan de soins à jour.

Selon elle, le ratio personnel-résidant n’était pas suffisant. « Le staff était overloadé. » Certains préposés en poste depuis 20 ans n’avaient reçu aucune formation ou mise à niveau. Elle a décrit la situation de « chaotique ».

Mme Bossé indique avoir fait des demandes de matériel au directeur du centre, qui a réglé la situation. Elle a aussi pu ouvrir quelques postes d’infirmières et de préposés et mettre sur pied des formations.

En novembre, elle avait espoir que la situation s’améliore. Assez pour y faire venir sa mère, atteinte d’Alzheimer, comme résidante. Elle pourrait ainsi la voir tous les jours et l’offre d’activités du centre, a-t-elle précisé, était excellente.

Mme Bossé a quitté Herron à la fin janvier, désabusée par le système de santé privé. Elle est retournée travailler au CHUM. Sa mère, attachée au personnel, est restée là. Mme Bossé avait confiance qu’elle recevrait les soins dont elle aurait besoin. C’était avant la pandémie. Elle recevait régulièrement des photos. Elle connaissait les employés.

La femme de 64 ans est morte le 7 avril dans des circonstances troublantes que sa fille a eu peine à raconter.

Véronique Bossé a reçu un courriel d’une gestionnaire de Herron le 28 mars 2020 lui assurant que sa mère allait bien et qu’il n’y avait qu’un seul cas de COVID-19 sur son étage.

Le 3 avril, la médecin traitante de sa mère l’a appelé pour annoncer que l’aînée avait la COVID-19. Mme Bossé a plus tard découvert qu’elle n’avait jamais été testée pour le virus. À l’époque, elle a demandé au médecin ce qu’elle entendait en auscultant sa mère. « Je vais être franche avec vous, je ne suis pas rentrée dans la chambre. On a reçu l’ordre de ne pas rentrer dans les chambres », aurait répondu cette dernière.

Mme Bossé a reçu un autre appel le 6 avril. On lui apprenait que sa mère était en fin de vie. Elle a demandé que sa mère soit mise sous soluté. La médecin a rappelé pour dire qu’il n’y avait aucun changement. Mme Bossé a alors demandé qu’elle reçoive une perfusion de médicaments pour qu’elle ne souffre pas.

« Quand ils m’ont appelé pour me dire qu’elle était morte, j’ai demandé : est-ce qu’elle était mieux avec sa perfusion ? [L’infirmière] a répondu : de quelle perfusion tu parles ? Ma mère n’avait rien. La seule chose qu’elle a eue, c’est de la morphine par la bouche. Quand elle a été trouvée, sa bonbonne d’oxygène était vide », a raconté sa fille en larmes. Selon elle, la défunte n’a jamais reçu le soluté demandé non plus.

« Ça me fait de la peine parce que ma mère avait peur de mourir étouffée. Et elle est morte étouffée. »