Certains pays riches envisagent d’administrer une troisième dose à leur population avec leurs surplus de vaccins. Les pays à faible revenu, eux, peinent à vacciner 10 % de leur population. Dans ces circonstances, offrir une troisième dose de vaccin, est-ce éthique ?

« Ce n’est absolument pas éthique », lance d’emblée Maïka Sondarjee, professeure à l’École de développement international et mondialisation de l’Université d’Ottawa.

« Vacciner l’ensemble de la population des pays, tant les populations à haut et à faible risque, alors que de nombreux pays n’ont pas couvert leurs populations prioritaires, c’était déjà contraire à l’éthique », renchérit Mira Johri, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a appelé mercredi à suspendre les doses de rappel des vaccins anti-COVID-19, au moins jusqu’à la fin de septembre, pour pouvoir mettre ces doses à la disposition de pays qui n’ont pu immuniser qu’une partie infime de leur population.

Nous avons un besoin urgent de renverser les choses : d’une majorité de vaccins allant dans les pays riches à une majorité allant dans les pays pauvres.

Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS

À l’heure actuelle, moins de 10 % de la population mondiale est vaccinée.

Vers une troisième dose

De nombreux pays, tels que l’Allemagne et Israël, ont annoncé des campagnes pour une troisième dose, parfois appelée booster dose ou dose de rappel. La France et l’Allemagne ont également confirmé qu’elles allaient offrir des troisièmes doses pour les personnes plus vulnérables et plus âgées dès septembre. Vendredi, la Food and Drug Administration a aussi fait savoir qu’elle accélérait ses efforts pour autoriser les doses supplémentaires de vaccins pour les Américains dont le système immunitaire est affaibli.

De son côté, le Comité consultatif national de l’immunisation du Canada ne recommande pas l’administration d’une dose de rappel aux personnes immunodéprimées.

« Pour l’instant, la troisième dose, tous les spécialistes nous disent qu’elle n’est pas nécessaire », a indiqué jeudi le premier ministre du Québec, François Legault, en conférence de presse. À l’heure actuelle, seuls les Québécois ayant reçu une ou deux doses d’un vaccin qui n’est pas reconnu dans certains pays peuvent obtenir une troisième dose de vaccin contre la COVID-19, afin de pouvoir voyager.

Peu de données

Les plus récentes données dans la littérature démontrent que certaines personnes immunovulnérables ne répondent pas au vaccin avec deux doses. Une troisième dose pourrait leur permettre d’obtenir une plus grande réponse protectrice. Il n’y a toutefois pas de données probantes sur l’administration d’une troisième dose à l’ensemble de la population.

« Ça n’a tout simplement pas de sens d’offrir une troisième dose alors qu’on ne sait même pas si ça aide vraiment », affirme Mme Sondarjee.

Mme Johri rappelle que ne pas vacciner les habitants des pays à plus faible revenu risque aussi d’avoir des impacts négatifs sur les habitants du monde entier.

« Les variants émergent plus rapidement là où la pandémie n’est pas contrôlée. Lorsque nous prenons sciemment des mesures qui conduisent à ce que les médecins, les infirmières et les hôpitaux soient débordés et à ce que les systèmes de santé et les économies s’effondrent dans les pays les plus pauvres, nous manquons à la fois d’éthique et de perspicacité », affirme-t-elle.

Rejeter l’appel

Les États-Unis et Israël ont déjà refusé l’appel de l’OMS. Les États-Unis affirment n’avoir « pas besoin » de choisir entre administrer une troisième dose à leur population et en faire don à des pays pauvres.

De son côté, le premier ministre d’Israël a plaidé qu’il rendait un « grand service » au monde en testant sur une partie de sa population l’efficacité d’une troisième dose de vaccin contre la COVID-19. Depuis la semaine dernière, plus de 262 000 Israéliens âgés de 60 ans et plus ont reçu une troisième dose et plus de 380 000 personnes sont en attente d’un rendez-vous, selon le ministère de la Santé.

Si on veut se sortir d’une crise mondiale, on doit s’en sortir tout le monde ensemble. Beaucoup de pays persistent à ne pas suivre ce que recommande l’Organisation mondiale de la santé. La crise va durer beaucoup plus longtemps.

Maïka Sondarjee, professeure à l’École de développement international et mondialisation de l’Université d’Ottawa

COVAX prend du retard

À l’heure actuelle, COVAX, un système international mis en place pour tenter de lutter contre l’inégalité vaccinale, n’a pu distribuer qu’une petite fraction de ce qui avait été prévu. Sur les 4 milliards de doses injectées dans le monde jusqu’ici, 80 % sont allées à des pays à revenu élevé ou moyen, alors qu’ils représentent moins de 50 % de la population mondiale.

La coalition attend toujours des dons de vaccins de la part des pays les plus riches qui ont acheté plus de doses que nécessaire. « Si les pays riches décident que tous les habitants ont besoin d’un rappel, cela fera reculer les efforts mondiaux de partage des vaccins, car l’offre de vaccins est limitée », affirme Mme Johri.

Jusqu’à présent, 138 pays ont reçu des vaccins de COVAX, mais pas dans les quantités requises pour couvrir les populations prioritaires, indique la professeure.

Le mois dernier, Ottawa a annoncé qu’il ferait don de près de 18 millions de doses du vaccin Oxford-AstraZeneca aux pays les plus pauvres.

Avec l’Agence France-Presse et La Presse Canadienne