(Montréal) Alors que la COVID-19 se dessinait à l’horizon, des responsables du CHSLD lavallois Sainte-Dorothée refusaient de faire tester des employés et des résidants qui avaient des symptômes, selon l’ancienne assistante infirmière-chef Sylvie Morin, venue témoigner mercredi à l’enquête publique de la coroner Géhane Kamel sur les décès de personnes âgées ou vulnérables survenus en milieux d’hébergement lors de la première vague.

Mme Morin, qui était responsable d’un programme de réadaptation, avait peu l’habitude de voir des patients mourir dans son unité. Pourtant, « le 18 et le 20 mars 2020, on a eu deux décès soudains ». Lorsqu’elle avait demandé de les faire dépister, on lui avait indiqué que comme « ils ne reviennent pas de voyage, on ne les teste pas », même si l’une de ces personnes avait récemment fait un voyage en Floride. Aucune de ces deux morts n’a été attribuée à la COVID-19, faute de preuve.

De plus, dans la dernière semaine de mars 2020, une infirmière auxiliaire « est venue me voir en pleurant », après avoir demandé à la chef d’unité de pouvoir passer un test de dépistage, a raconté Mme Morin. Même si l’employée avait des symptômes, on lui aurait répondu : « tu vas te faire tester quand tu finiras ton quart de travail ».

Ce n’est que le 26 mars que le premier cas de contamination a été confirmé chez un résidant. Les nouvelles admissions n’ont cessé que deux jours plus tard. Le 3 avril, après un dépistage massif, on a découvert un total de 105 cas. En tout, la première vague aura fait plus d’une centaine de morts à Sainte-Dorothée, l’un des pires bilans du Québec.

« C’était déjà rentré dans la bâtisse », a commenté Mme Morin, qui a plaidé qu’« il ne faut pas juste que ça soit en haut que tout soit décidé », et qu’« il faut écouter les gens sur le plancher ».

Hôpital interdit

Même après que l’éclosion a été déclarée à Sainte-Dorothée, « tout le monde devait rester à la résidence », a expliqué l’aide-infirmière-chef Agnieska Mroz mercredi. Les instructions du ministère de la Santé étaient alors de libérer les places dans les hôpitaux.

« J’ai été témoin d’une situation où la malade était dans un état assez grave » et présentait « un manque d’oxygène » et « un état très agité », s’est remémorée Mme Mroz. Alors que « la famille demandait de la transférer » à l’hôpital, cette requête a selon elle été refusée par la chef d’unité.

En désespoir de cause, « la famille a appelé elle-même le 911 pour transférer la dame », ce qui a finalement été fait par les ambulanciers.

Zone rouge inadéquate

Alors que l’hôpital était inatteignable pour beaucoup, une zone de quarantaine de 20 lits, mise sur pied dans une ancienne salle commune avec les moyens du bord, a abrité la poignée de résidants officiellement atteints de la COVID-19 vers la fin du mois de mars, avant que la situation n’explose et que tous soient confinés à leur chambre.

Au début de l’installation de la zone, « il n’y avait pas de concentrateurs d’oxygène », pourtant essentiels pour aider les malades en détresse respiratoire, s’est rappelée Mme Mroz. En cas d’urgence, il fallait « appeler un médecin pour prescrire un protocole de détresse respiratoire », qui consistait en l’injection de morphine et d’autres produits pour réduire la douleur. Les médecins n’étant pas sur place, l’autorisation se donnait par téléphone, en se basant sur les observations de l’infirmière.

Il n’y avait « pas de salle de bain et pas d’eau courante », a-t-elle ajouté. Pour laver certains patients, pour qui des débarbouillettes humides n’étaient pas suffisantes, il fallait « aller chercher de l’eau chaude à la cuisine », en zone verte.

À cause du manque de personnel ― les deux tiers des employés ont été contaminés durant la première vague ― une infirmière en formation, venue prêter main forte en CHSLD, s’est retrouvée responsable de la zone rouge pendant toute une nuit, sans supervision, ce qui est pourtant interdit par l’ordre des infirmières et infirmiers du Québec. L’employée, dont l’identité est protégée par une ordonnance de non-publication, s’est donc retrouvée « seule avec un préposé aux bénéficiaires », alors que parmi les patients, « il y en avait qu’on n’était pas sûrs qu’ils allaient passer la nuit ».

Le contexte de l’enquête

L’enquête de la coroner se penche sur les décès de personnes âgées ou vulnérables survenus dans des milieux d’hébergement au cours de la pandémie de COVID-19, qui comptent pour la moitié des victimes de la première vague. Son objectif n’est pas de désigner un coupable, mais bien de formuler des recommandations pour éviter de futures tragédies.

Six CHSLD et une résidence pour personnes âgées ont été désignés comme échantillon. Un décès est examiné pour chaque établissement.

Les audiences de cette semaine portent sur la mort de Mme Anna José Maquet, le 3 avril 2020 au CHSLD Sainte-Dorothée, à Laval. Ensuite, un volet national sera aussi examiné.

Cet article a été produit avec l’aide financière des Bourses Facebook et La Presse Canadienne pour les nouvelles.