Samuel et Gabriel Lachaine sont atteints de dystrophie musculaire. S’ils contractent la COVID-19, les deux frères risquent d’éprouver une forme grave de la maladie. Pourtant, ils ne recevront pas le vaccin avant près de trois millions de personnes. Pourquoi ? Ils vivent à la maison.

« Si on était en résidence, on l’aurait déjà reçu, le vaccin », se désole Samuel, en appel vidéo. En retrait, son aîné hoche la tête. Samedi soir, les deux frères ont lancé un cri du cœur sur leur page Facebook.

« Cela fait maintenant près d’un an que nous devons constamment [nous] méfier du virus et rester à l’écart en raison du risque de symptômes graves […]. Si seulement il y avait un moyen de faire changer les choses et de nous permettre de [nous] sentir plus protégés avec un vaccin. »

La publication a été relayée des centaines de fois, accompagnée de commentaires d’encouragement et de messages d’espoir. C’est que Samuel et Gabriel vivent l’enfer depuis maintenant près d’un an. Âgés respectivement de 26 et de 30 ans, les frères Lachaine vivent avec la dystrophie musculaire de Duchenne, maladie génétique provoquant une dégénérescence progressive de l’ensemble des muscles de l’organisme, particulièrement les poumons.

« Pour certains, la COVID-19, c’est une grosse grippe, mais pour nous, ça peut virer très mal. On peut être asymptomatiques, comme on peut se retrouver aux soins intensifs. On est tout le temps stressés », explique Samuel.

Ces 11 derniers mois, son frère et lui se sont protégés du mieux possible, jusqu’à ne pas mettre le nez dehors pendant quatre mois complets. Le virus est tout de même parvenu à entrer dans leur maison, à Saint-Eustache.

Lundi, notre mère a commencé à avoir mal à la gorge. Elle a continué à faire nos soins, avec un masque et toutes les précautions nécessaires. Mardi, elle avait de la difficulté à sortir du lit.

Samuel Lachaine

Deux jours plus tard, leur mère a reçu un résultat de test positif à la COVID-19. Les deux frères ont été déclarés négatifs. Un soulagement, dans une certaine mesure.

« Notre mère a dû s’isoler. Qui allait faire nos soins ? Il y a des ressources au public, mais il manque trop de personnel en ce moment. Il aurait fallu qu’on se tourne vers le privé, mais le temps de trouver quelqu’un, il aurait déjà été trop tard. »

Samuel et Gabriel ont besoin d’aide quotidienne pour se laver, s’habiller, manger. C’est un travail à temps plein. « Par chance », leur père n’a pas contracté le virus – malgré les baisers échangés avec sa conjointe à la Saint-Valentin, rigolent au passage les deux frères – et a pu prendre le relais. « Ça reste que ç’a chamboulé notre quotidien. »

Au huitième rang

À ce jour, les deux frères sont au huitième rang de la liste des populations prioritaires pour recevoir le vaccin contre la COVID-19, auprès des autres personnes adultes de moins de 60 ans vivant avec une maladie chronique ou un problème de santé augmentant le risque de complications de la COVID-19. Avant eux, un peu plus de 2,89 millions de personnes doivent être vaccinées, selon l’Institut national de santé publique du Québec.

Pour Samuel et Gabriel, c’est « complètement incompréhensible ». « Nous sommes aussi vulnérables qu’une personne en résidence. Nos parents continuent à aller au travail, à sortir faire des courses. Comme une préposée dans un CHSLD, ils peuvent nous ramener le virus. On est pénalisés parce qu’on habite à la maison avec nos parents. »

La présidente de l’association Dystrophie musculaire Canada, Stacey Lintern, observe ce même sentiment « d’injustice » chez ses membres d’un océan à l’autre.

Le gouvernement mise tout sur les établissements de soins, ce qu’on comprend, mais en même temps, il oublie plein d’individus derrière. C’est un enjeu immense.

Stacey Lintern, présidente de l’association Dystrophie musculaire Canada

Selon elle, les autorités sanitaires auraient intérêt à vacciner rapidement les personnes atteintes d’une maladie respiratoire, comme la dystrophie musculaire. « Ces gens sont de grands utilisateurs du système de santé. Ils engorgeraient les soins intensifs s’ils contractaient le virus », indique-t-elle.

De leur côté, les frères Lachaine jugent avoir assez fait les frais de la pandémie. Depuis un an, ils reportent tous leurs examens médicaux, par peur de s’exposer au virus à l’hôpital. « Il me semble que le gouvernement pourrait faire du cas par cas dans ce temps-là. Ça pourrait nous éviter de mourir », laisse tomber Samuel.

Une question d’équité

Joint par La Presse, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a défendu son plan de vaccination. « Les priorités de vaccination ont été établies par les scientifiques du Comité sur l’immunisation du Québec. Plusieurs facteurs ont été considérés pour établir l’ordre de vaccination, et ces recommandations sont basées sur les données scientifiques », a indiqué la relationniste Noémie Vanheuverzwijn.

« Les usagers les plus vulnérables, notamment ceux qui sont hébergés en CHSLD, sont priorisés. De plus, il est actuellement prioritaire de stabiliser le réseau de la santé, et ce, pour éviter des ruptures de services pour la population. C’est une question d’équité et de protection de la santé de la population et des travailleurs du réseau dans un contexte où les vaccins sont disponibles en quantité limitée. »

Le MSSS n’a pas répondu aux questions de La Presse concernant des exceptions envisageables pour les personnes comme les frères Lachaine. Il n’a pas non plus fait savoir dans combien de mois était évalué le début de l’administration du vaccin aux personnes du huitième rang.

Samuel et son frère ne perdent pas espoir et croisent les doigts pour que toutes les personnes vivant avec une maladie chronique puissent être vaccinées rapidement.

Ce n’est d’ailleurs plus un problème pour l’un de leurs amis proches, lui aussi atteint de la dystrophie musculaire, qui a déjà reçu la fameuse piqûre – il vit en résidence.