(Québec) Alors que la vaccination prend son envol progressivement dans les communautés autochtones du Québec, les autorités sanitaires doivent composer avec un défi supplémentaire : celui de combattre la méfiance des Premières Nations envers le vaccin. Le DStanley Vollant appelle les leaders autochtones à montrer l’exemple.

« Il y a énormément de craintes », n’hésite pas à dire le chirurgien innu originaire de Pessamit, sur la Côte-Nord. « Les incidents du passé et le drame récent de Joyce Echaquan ont laissé des traces et ont augmenté l’incertitude et la méfiance envers l’establishment médical », a-t-il ajouté en entrevue avec La Presse.

La communauté d’Opitciwan, en Haute-Mauricie, est secouée depuis décembre par une importante éclosion de COVID-19. Mercredi, on comptabilisait 109 cas (dont 84 rétablis) pour une population de quelque 2500 âmes. Pourtant l’accueil des premières doses du vaccin a été « très mitigé », selon le chef Jean-Claude Méquish.

« Il y a une certaine méfiance », a commenté le chef atikamekw. « Il y a de la peur, le contexte historique et beaucoup de fausses informations véhiculées sur les réseaux sociaux », a-t-il ajouté. Sur les 1200 doses mises à la disposition d’Opitciwan, près de la moitié — un total de 550 — ont été administrées jusqu’à présent.

Le chef Méquish estime ce résultat « satisfaisant », puisque des doses ont aussi été réservées pour les membres de la communauté qui sont en isolement préventif. Au début de janvier, environ 330 Atikamekw d’Opitciwan, dont les enfants, se trouvaient en quarantaine à la suite de l’éclosion de décembre.

C’est dire dans quelle mesure le virus peut se répandre comme une traînée de poudre dans une communauté autochtone.

Le vaccin est notre meilleure arme pour éviter une hécatombe dans nos communautés. […] Cet ennemi-là, il faut le combattre de façon collective.

Le DStanley Vollant, chirurgien innu

Le chirurgien, qui pratique à Montréal, utilise sa tribune pour sensibiliser ses concitoyens.

« Tous les chefs, les leaders et les artistes autochtones devraient se lever et démontrer l’importance d’être vacciné », propose-t-il. Lui-même a reçu une première dose du vaccin la semaine dernière et a publié une photo sur les réseaux sociaux. « J’ai reçu quelques dizaines de mauvais commentaires », a-t-il relaté.

« Comme leader, on a un rôle à jouer, et un bon leader ne devrait pas avoir peur de la critique », soutient-il.

Composer avec la réticence

À Ottawa, les autorités sanitaires se préparent d’ailleurs à composer avec cet enjeu particulier de réticence. « Nous constatons certaines hésitations », a confirmé le ministre des Services aux Autochtones, Marc Miller, en conférence de presse mercredi.

« Il est difficile de généraliser, puisque nous n’avons pas encore distribué de grandes quantités de vaccin à travers le pays. Mais c’est une réalité avec laquelle nous nous préparons à composer lors des prochaines phases », a-t-il ajouté.

Le gouvernement fédéral estime que 75 % des adultes vivant en communauté seront vaccinés en mars prochain.

À Québec, on évalue aussi que les membres des communautés (qui font partie du quatrième groupe prioritaire) seront aussi vaccinés d’ici la fin du mois de mars. Des vaccins ont été administrés à Opitciwan, Wemotaci et Kahnawake, ainsi que dans les Terres-Cries-de-la-Baie-James, notamment. Manawan doit recevoir des doses dès la semaine prochaine.

Les communautés autochtones sont hautement vulnérables à la COVID-19 alors que les foyers sont souvent multigénérationnels et surpeuplés. Les membres des Premières Nations présentent aussi des taux plus élevés de diabète, de maladies chroniques et d’obésité que la moyenne de la population canadienne.

Ottawa admet que l’hésitation face aux vaccins existe partout au Canada, « mais [elle] peut être plus grave dans les communautés autochtones étant donné le contexte colonial et les réalités du racisme systémique dans les soins de santé ».

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre des Services aux Autochtones, Marc Miller, en conférence de presse mercredi

On cite le traitement réservé à l’époque à des « patients tuberculeux dans les hôpitaux ou les sanatoriums » et les déclarations de survivants des pensionnats « ayant fait l’objet d’expériences » médicales dans ces établissements. « L’hésitation vient parfois de bonnes raisons », soutient le ministre Miller.

« Ça peut venir de l’expérience d’une grand-mère, par exemple. C’est basé sur une réalité, […] tu ne peux pas seulement avoir une personne qu’ils n’ont jamais vue, qui débarque avec un vaccin et qui dit : ‟Voilà, on vous l’administre.” Ils veulent une interaction, une information dans leur langue », a-t-il illustré.

Répondre aux réalités des communautés

Les autorités fédérales et provinciales travaillent étroitement avec la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL) pour établir des stratégies de communication et offrir des campagnes de vaccination qui respectent les besoins des communautés.

Il est important de s’assurer que les solutions qui seront proposées répondront aux réalités de ces communautés et qu’elles auront été approuvées par ces dernières, de même que les sujets de campagne de sensibilisation et le déploiement de l’opération de vaccination.

Le cabinet du ministre responsable des Affaires autochtones du Québec

La CSSSPNQL a également produit un plan de communication qui servira à soutenir les communautés. Des leaders, des aînés ou même des personnes qui ont combattu la COVID-19 pourraient être appelés à participer à des capsules informatives, entre autres.

« Il faut bien l’expliquer, le vaccin, il est là pour combattre », soutient la directrice générale de la CSSSPNQL, Marjolaine Sioui. « Je pense qu’il y a une période un peu de craintes, de peur de l’inconnu, mais on voit aussi que les gens tentent maintenant de se familiariser avec l’information disponible. Les gens vont aussi voir des connaissances se faire vacciner », explique-t-elle avec optimisme.

La Santé publique du Québec a demandé aux communautés de leur fournir un plan de vaccination rapidement. Une fois ce plan en mains, les opérations pourront se déployer à travers la province en tenant compte des besoins en matière de ressources humaines et matérielles de chaque communauté.