Je vous le dis tout de suite, chère mairesse, chers concitoyens, si je vois que mes voisins font un party à 15 ou à 40, je ne vais pas appeler la police.

Contrairement à Valérie Plante, je ne trouve pas que « c’est la chose à faire ».

Je trouve que « la chose à faire », c’est de respecter les règles imposées par la Santé publique pour limiter le plus possible les risques de propagation du virus.

C’est donc ne pas faire de party, porter le masque, se laver les mains, éviter les contacts humains, respecter la distanciation. Vous connaissez la suite.

Mais dans la mesure où le party du voisin ne fait voler aucune gouttelette chez moi et qu’il a lieu entre adultes consentants, je vais laisser les autorités et lesdits humains que je ne qualifierai pas régler ça entre eux.

Je ne vais pas me substituer aux forces de l’ordre pour faire respecter les règlements.

Si j’entends ou je vois des choses qui me laissent croire qu’il y a de la violence et que des êtres vulnérables sont mis en danger, ça sera autrement. Le 911 et la DPJ sont là pour ça.

Mais il y a une frontière que je ne franchirai pas au sujet de la COVID-19.

C’est celle du gros bon sens.

C’est celle qui sépare la prévention raisonnable du règlement de comptes et du défoulement des frustrations.

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On est tous frus, j’en conviens.

On n’en peut plus.

Il fait froid, il fait sombre. Toutes sortes d’outils antidépression – la mairesse aime parler d’outils –, comme la pause chaleur à la plage, les soirées entre copains ou dans un bon restaurant, l’arrêt au café du coin, les retrouvailles, sont inaccessibles (ou fortement déconseillés dans le cas des voyages).

On est enfermés dans le télétravail, nos bulles, notre vie nouvellement atomisée. Malgré les vaccins, l’avenir ne dit pas si ça va vraiment bien aller à peu près rapidement et quand on pourra retrouver la normalité. Et pour certains, c’est insupportable. Beaucoup ne savent pas comment seront leurs parents en perte cognitive ou leurs amis malades au sortir de ce cauchemar collectif barricadé.

On est nombreux qui ne peuvent pas se permettre d’annuler, de quasi éteindre Noël parce que le temps file et ne revient pas, parce qu’il y a urgence de vivre maintenant, pas après le virus. Et pourtant, on va le faire pareil.

Les mots « à boutttte » commencent à peine à décrire la situation.

Mais autant ce n’est pas un prétexte pour baisser la garde et balancer les règles en l’air – on le doit aux malades et à ceux qui veillent sur eux –, autant ce n’est pas non plus une bonne raison pour se prendre pour les justiciers du monde.

La règle de base de nos sociétés démocratiques modernes, c’est qu’on délègue à l’État, soit le bras collectif, la responsabilité de faire respecter les lois et règlements.

Continuons ainsi.

Entendez-moi bien : je ne défends pas la triche bien dissimulée. J’essaie juste de dire que la délation, ce n’est pas la chose à faire.

À moins qu’on soit dans une situation de défense légitime ou en train de protéger et de défendre les plus vulnérables, on ne brandit pas le képi invisible des redresseurs de torts du dimanche ou du samedi soir.

Il y a d’autres façons d’aider – si c’est ça le but – que d’intervenir dans la vie des autres.

D’ailleurs, je vous recommande deux choses. Trouvez cette façon de participer positivement à améliorer le sort du monde – et sachez que l’entraide fait partie des mécanismes humains qui rendent heureux, c’est démontré – et regardez le film qui porte ce titre, La vie des autres, à visionner pendant toutes ces longues soirées sans party. Pour réfléchir sur les frontières à ne pas franchir. Sur les motivations aussi qui poussent à la délation.

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Est-ce que la mairesse a été piégée par un terrible journaliste qui voulait la faire déraper sur cet épineux sujet en conférence de presse sur le trafic d’armes jeudi ?

Non.

La question de la dénonciation fait partie du portrait pandémique depuis le début.

Parce qu’il y a eu toutes sortes d’alertes aberrantes ainsi lancées entre voisins.

Dès le mois de mars, des mouchards, des porte-paniers, comme dirait ma mère, sont sortis de nulle part.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Valérie Plante, mairesse de Montréal

Donc Valérie Plante devait savoir que la question pouvait être posée. En plus, elle était en compagnie de la police à l’évènement de presse. La police aussi devait s’y attendre.

Un message de respect civique aurait pu, aurait dû être préparé.

Quelque chose qui aurait dit, justement, de laisser la police faire son travail.

Pas parce que ce n’est pas grave que des gens irresponsables et égoïstes fassent fi des règles respectées par les autres.

Mais parce que s’il y a un fil conducteur terrifiant entre les dictatures, c’est cette utilisation du peuple contre lui-même.

Bien sûr, Montréal n’est pas une dictature et il n’est pas près de l’être. Ni le Québec ni le Canada. Non, je n’ai jamais dit ça non plus.

Mais restons ainsi, justement.

Et n’allons pas même nous approcher de ces zones maudites qui font penser aux films sur l’Allemagne de l’Est au temps de la Stasi.

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Donc quand on est élu, on ne parle pas de délation. On coupe ce bout de la phrase.

On dit, comme Mme Plante l’a fait plus tard, de respecter les règles pour que la question ne se pose pas. Et on ajoute que la délation, c’est dangereux. Et que comme élue démocrate, pour le principe et par respect pour tous ceux qui à travers l’Histoire ont souffert le pire à la suite de trahisons faites par des concitoyens et encouragées par leurs gouvernants, on ne peut juste pas cautionner ça.