Réduire les interventions, économiser de précieux masques, protéger le personnel soignant de la COVID-19… Une petite machine fabriquée à Laval et développée à Québec pourrait alléger le travail des soignants en réglant automatiquement le taux d’oxygène des patients. Le dispositif Free02 sera testé durant la pandémie dans six hôpitaux du Québec. L’un de ses concepteurs, le Dr François Lellouche, chercheur au Centre de recherche de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ), a répondu à nos questions.

Que fait concrètement cette petite machine inventée au Québec ?

Le Free02, c’est un système qu’on développe depuis 2009, notamment avec des étudiants en génie électrique et en informatique de l’Université Laval. C’est un système qui ajuste l’oxygène chez les patients qui sont en ventilation spontanée. Ce ne sont pas les patients qui sont intubés. Ce sont les patients qui reçoivent de l’oxygène soit par des lunettes nasales, soit par un masque ; ils représentent 90 % des patients qui reçoivent de l’oxygène à l’hôpital.
Actuellement, on met des oxymètres au bout du doigt pour calculer l’oxygénation dans le sang. Pour la contrôler, depuis 1910, on utilise un débitmètre à bille. On tourne une petite manette au mur et ça ajuste le débit d’oxygène. Ça se fait manuellement. Ce n’est pas fait de manière précise. Le système Free02 mesure l’oxygénation et fait varier le débit d’oxygène toutes les secondes pour essayer de rester dans la cible d’oxygénation. L’idée, c’est d’éviter que les patients manquent d’oxygène, mais aussi qu’ils en aient trop, car c’est toxique.

En quoi cette invention peut-elle être utile contre la COVID-19 ?

Comme ça se fait de manière automatique toutes les secondes, c’est plus précis. Les soignants n’ont bien sûr pas le temps de venir en permanence ajuster le débit. Nos études ont démontré qu’on avait beaucoup moins d’hyperoxémie – donc un excès d’oxygène – et aussi beaucoup moins de périodes d’hypoxémie. L’autre grand intérêt pour la COVID-19, c’est que les soignants n’ont pas besoin d’entrer dans la chambre pour régler le débit. D’une part, on sait que chaque fois qu’un soignant entre dans la chambre, il consomme des équipements. On a vu que les équipements peuvent manquer. D’autre part, le fait de moins entrer dans la chambre réduit le risque d’infection des soignants.
Plutôt qu’ajuster 20 fois par jour le taux d’oxygène, on peut voir à travers la vitre le débit s’ajuster automatiquement. C’est quand même confortable pour le soignant. Surtout qu’on voit que la COVID-19 est une maladie très particulière par rapport à l’oxygénation, on voit des variations très rapides d’un sens comme de l’autre.

Vous venez de recevoir 800 000 $ des Instituts de recherche en santé du Canada dans le cadre de la pandémie de COVID-19. Que ferez-vous avec cet argent ?

La subvention va permettre de faire une étude dans 10 centres hospitaliers au Canada. On veut démontrer avec cette étude que notre système diminue le nombre d’interventions, même si c’est évident pour nous. Pour le moment, il y a sept centres recrutés, dont six au Québec. On a été les premiers à commencer à l’IUCPQ à Québec. Le CHUM va commencer très bientôt. En tout, on doit inclure 216 patients. Mais on fera une analyse à mi-parcours. Si les résultats sont déjà significatifs, on pourrait arrêter l’étude à 108 patients. On a prévu d’étudier des patients qui ont la COVID-19 et d’autres qui ne l’ont pas.

On parle beaucoup des respirateurs et de l’intubation dans le cas de patients aux prises avec la COVID-19. Votre système, même s’il fait de l’oxygénation, peut-il être utile à ces patients ?

L’intubation, c’est une petite partie des patients COVID-19. La plupart des patients hospitalisés reçoivent de l’oxygène, c’est la première ligne de traitement respiratoire. Après, environ 30 % des patients hospitalisés vont aux soins intensifs et vont éventuellement avoir besoin de respirateur ou d’intubation. C’est une petite proportion des patients. Le premier support, c’est vraiment l’oxygène. Les patients qui ont la COVID-19 peuvent avoir besoin d’oxygène quelques jours, mais ça peut aller jusqu’à deux, trois semaines. Un collègue en France a déjà soigné une trentaine de patients atteints de la maladie avec le Free02. Parfois, c’est quelques heures, car rapidement, ils doivent être intubés. Mais d’autres patients ont besoin d’oxygène sans intubation pendant plusieurs semaines.

Combien coûte le système ?

En Europe, pour l’instant, c’est dans les 10 000 euros. C’est quand même assez cher par rapport au débitmètre à bille, qui coûte quelques centaines de dollars, mais le système inclut aussi un oxymètre qui peut coûter plusieurs milliers de dollars. Mais surtout, ce qu’on a vu dans les premières études, c’est que ça permet de sauver jusqu’à 30 % de la durée de séjour. Quand on sait qu’une journée d’hospitalisation coûte environ 1000 $, c’est quand même intéressant à long terme. Il y a aussi potentiellement un impact sur la survie des patients.

Quand pensez-vous commercialiser votre invention ?

On a reçu l’approbation européenne en 2017 et celle de Santé Canada en 2019. Plusieurs centres en France ont déjà commencé à acquérir des Free02 à l’extérieur d’un cadre de recherche. Il y a déjà une cinquantaine de machines en France. On commence progressivement la commercialisation au Canada et on vise aussi les États-Unis.
C’est un vrai gros changement par rapport à ce qui se faisait habituellement. Ça doit donc être évalué pour donner confiance aux soignants. Autant dans les gros avions, il y a énormément d’automatisation, autant dans les hôpitaux, on est un peu plus conservateur. On a de la difficulté à laisser une machine faire le travail automatiquement.
La période qu’on vit actuellement est terrible pour beaucoup de monde. Mais d’un point de vue scientifique, plein de nouvelles choses sont testées.

À NOTER : l’entrevue a été éditée par souci de concision.