La courbe, la courbe. Depuis le premier jour, tous les experts nous parlent de la courbe.

Si le Québec a été mis sur pause, c’est pour aplatir la courbe. Le docteur Horacio Arruda n’a que ce mot-là à la bouche. La courbe ! LA COURBE ! Il s’est tapé sur la main, comme un déchaîné, pour nous montrer ce qu’il fallait faire à la courbe. Quin la courbe ! Quin ! Quin ! La courbe ! On aurait dit Louis de Funès, tentant d’écraser une mouche, dans Les gendarmes au camp de nudistes. Même le premier ministre Legault nous la mime parfois, avant de tousser dans son poing. La courbe ! La courbe ! Jamais autant entendu le mot courbe, depuis que Jacques Doucet et Rodger Brulotte ne décrivent plus les matchs des Expos. La courbe. La fameuse courbe. Notre vie, notre mort et notre économie dépendent de la courbe.

Au début, je pensais que dans tous les points de presse de 13 h, ils nous feraient une présentation PowerPoint de la courbe ou nous arriveraient avec de beaux gros cartons faits au Québec. Que le Dr Arruda se ferait aller la baguette, nous montrant où on en est. Restez chez vous, les amis, la courbe est trop à pic. Vous pouvez mettre vos pneus d’été, la courbe est atténuée. Ben non ! Pas une fois ! Jamais vu la courbe. No curve ! La courbe, c’est comme le sexe, on ne parle que de ça, mais on ne le montre pas !

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le Dr Horacio Arruda, directeur national de santé publique, et François Legault, premier ministre du Québec

Quand le Grand Confinement a commencé, j’étais certain que RDI et LCN nous la montreraient toutes les heures. Un beau tableau en couleurs. Voici la courbe d’Horacio. Ç’aurait été la météo de notre destinée. Ben non, toi. Pas de courbe. Ils nous montrent des carrés avec des chiffres dedans. Pourtant, le triumvirat ne nous parle pas des carrés, il nous parle de la courbe. Je me suis donc rabattu sur l’internet pour trouver la courbe. Je l’ai trouvée. Sur le site de l’Institut national de santé publique du Québec. Ça ne peut pas être plus officiel que ça. Le problème, c’est que je n’en ai pas trouvé seulement une, j’en ai trouvé plein.

Il y a les courbes qui suivent l’évolution quotidienne des nouveaux cas confirmés, des cas actifs et du nombre cumulatif des cas confirmés liés à la COVID-19 au Québec. Les courbes qui donnent le nombre cumulatif de cas confirmés selon certains groupes de régions sociosanitaires. La courbe qui suit l’évolution quotidienne des morts et du nombre cumulatif de décès liés à la COVID-19 au Québec. La courbe qui suit l’évolution quotidienne du nombre d’hospitalisations liées à la COVID-19 au Québec. Et les courbes qui suivent l’évolution quotidienne des nombres cumulatifs de cas confirmés et de personnes avec des analyses négatives.

OK. C’est laquelle, la bonne courbe ! ! ? ? ? Celle dont tout dépend ? Celle sur laquelle Arruda tape ? Celle qui doit être plate ?

Parce que la plupart d’entre elles s’en vont vers le haut, et à la télé, les experts disent qu’on a atteint un plateau. Il est où, le plateau ? Je ne vois pas beaucoup de plateaux dans les courbes. Si les experts montaient ces courbes-là à vélo, ils en pomperaient un max. On est plus en train de rouler sur Côte-des-Neiges que de rouler sur la 20. Cela dit, je ne connais rien aux courbes, mais si l’indice boursier suivait celle des cas confirmés de COVID-19, ça irait bien dans nos portefeuilles.

Bref, comme le disait le curé Labelle : il est grand, le mystère de la courbe ! Il faut avoir la foi. On va avoir été confinés à cause de la courbe, on sera déconfinés à cause de la courbe, sans jamais avoir vraiment vu la courbe. Mais ce n’est pas grave. Je sais très bien que cette crise est trop complexe pour se résumer en une seule courbe. La courbe n’est qu’une image pour nous faire comprendre qu’il faut garder le contrôle. Les décisions reposent sur une multitude de facteurs, pas sur un fichier Excel. L’important, c’est d’être solidaires. Et de suivre le plan de match.

C’est comme le slogan « ça va bien aller ». Ce n’est pas une promesse. C’est une pensée positive. Parce qu’il y en a déjà pour qui ça ne va plus du tout. Et qu’il y en a plein pour qui ça ne va vraiment pas bien.

On a trop longtemps dit aux gens dans les CHSLD « ça va bien aller ». Voyez ce qui est arrivé. Il faudrait trouver quelque chose de plus engagé.

Normalement, ça va bien aller, on dit ça à quelqu’un qui s’apprête à vivre quelque chose qui l’inquiète un peu. Style :

« — J’ai mon gros examen final de mathématiques, demain.

— Ça va bien aller. »

Pas quand quelqu’un dit : 

« — Il y a une pandémie mondiale. Près de 3 millions de personnes atteintes. Près de 200 000 morts. Des millions de chômeurs et d’entreprises au bord de la faillite. Et on n’a aucune idée quand ça va s’arrêter.

— Ça va bien aller. »

Dans ce genre de situation, on dit plutôt « je vais t’aider, on va s’aider ». On ne présume pas que tout va se régler tout seul. Il faut être dans l’action. Dans le courage. Pas juste dans l’encouragement.

Ça va bien aller, c’est un peu court.

Ça va bien aller, on va s’aider.

La courbe va descendre un jour.

Comme l’arc-en-ciel, mon amour.