Des étudiants d’Ottawa sont en colère. Stressés et bousculés par la pandémie de COVID-19, ils ont appris il y a quelques jours que les frais de location de la résidence universitaire privée où ils logent allaient être considérablement augmentés à compter du 31 août prochain.

Cette résidence se nomme Théo. Elle est située à l’angle de la rue Rideau et de l’avenue King Edward. Elle a été inaugurée en septembre dernier. Les centaines d’étudiants qui occupent les appartements ont appris la mauvaise nouvelle le 23 mars dernier dans un avis signé par Samantha Chowieri, l’une des gestionnaires… du Groupe Katasa.

Vous avez bien lu !

Le Groupe Katasa, la même entreprise qui est au cœur de la triste affaire du CHSLD Herron. La même entreprise qui est propriétaire de sept résidences pour personnes âgées et d’autres immeubles commerciaux. La même entreprise qui fait actuellement l’objet de diverses enquêtes.

Je me suis entretenu mardi avec Olivier Ste-Croix, un étudiant qui partage un appartement chez Théo avec deux colocs. Le loyer est de 750 $ (chacun) pour les deux étudiants qui occupent une chambre semi-privée et de 1000 $ pour celui qui a une chambre privée. Les deux premiers devront dorénavant débourser 995 $ par mois. Quant au troisième colocataire, son loyer passe à 1200 $.

Les jeunes locataires de Théo ont quelques semaines devant eux pour signifier s’ils renouvellent ou non leur contrat de location. « C’est très difficile de se trouver un appartement à Ottawa, m’a confié Olivier Ste-Croix. Les loyers sont élevés. On n’avait vraiment pas besoin de cela en ce moment. »

IMAGE TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE THÉO OTTAWA

La résidence universitaire Théo, à Ottawa

Ajoutons à cela qu’effectuer des recherches d’appartement en pleine pandémie représente tout un défi. « Nous avons tous quitté la résidence Théo, ajoute Olivier Ste-Croix. On ne voulait pas courir le risque de contracter la COVID-19. Nous étudions et préparons nos examens de chez nous. »

Une pétition a été lancée par les occupants de la résidence Théo afin de stopper cette augmentation. Elle rassemble à ce jour plus de 700 signatures. Les étudiants espèrent en obtenir 1000.

Dans la lettre envoyée aux étudiants, le Groupe Katasa explique que la loi ontarienne permet aux propriétaires d’appliquer une augmentation de loyer aux locataires après la première année d’activité. Dans un courriel que Radio-Canada Ottawa-Gatineau a reçu, l’entreprise gatinoise affirme qu’elle travaille avec une institution financière afin de mettre en place un programme d’aide pour les locataires en difficulté.

J’ai parlé mardi à une personne de Tesla, firme de relations publiques chargée d’assurer les liens avec le Groupe Katasa depuis samedi. On m’a dit que la famille Chowieri ne commenterait pas cette situation.

Admettons que le Groupe Katasa a toutes les raisons du monde d’imposer cette augmentation aux étudiants. Admettons qu’il a le droit de le faire. Admettons qu’il n’a pas le choix de faire ce geste.

Peut-on quand même dire qu’il y a là un manque flagrant de tact, de jugement et de sensibilité ? Le 23 mars, les établissements scolaires étaient fermés. Les provinces et les villes multipliaient les mesures de sécurité. L’inquiétude des citoyens montait de plusieurs crans.

Et qu’a fait le Groupe Katasa cette journée-là ? Il a envoyé un avis à des étudiants pour leur dire qu’ils vont devoir cracher encore plus d’argent s’ils veulent occuper leur appartement en septembre prochain.

SIMON SÉGUIN-BERTRAND, LE DROIT

Le siège social de Katasa, entreprise propriétaire de plusieurs lieux d’hébergement pour aînés au Québec ainsi que d’une résidence universitaire privée à Ottawa.

Et le pire, c’est qu’on fait cela alors que, dans un rare moment de solidarité, locataires et propriétaires font front commun pour demander un programme temporaire de supplément au loyer. Mon collègue André Dubuc a écrit mardi qu’une importante proportion de locataires québécois avait du mal à régler le loyer d’avril.

Je le redis : quel manque de tact, quel manque de jugement, quel manque de sensibilité !

On dit que l’argent n’a pas d’odeur. Pour Katasa, il n’a visiblement pas d’âge.

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Des travailleurs de la santé m’ont écrit. Eux aussi étaient en colère pour une histoire de prix gonflé. Ils ont voulu commander des masques de l’entreprise québécoise Bigarade. Cette entreprise proposait jusqu’à tout récemment ce précieux accessoire moyennant 650 $ pour une boîte de 100 masques.

Mais voilà que ce produit tant recherché a connu en quelques jours une augmentation de son prix. Celui-ci est soudainement passé de 650 $ à 800 $, pour finalement atteindre 895 $ pour la même boîte de 100 exemplaires.

J’ai parlé mardi à Geneviève Lorange, propriétaire de Bigarade, et à Dominique Gagnon, son associé. Devant mon insistance, ils ont reconnu que le prix des masques qu’ils produisent depuis quelques jours avait en effet été revu à la hausse.

« On a mal évalué les choses au départ, m’a dit Geneviève Lorange. Il faut quand même rentrer dans nos coûts. » Bigarade emploie actuellement une soixantaine de couturières réparties dans une dizaine d’ateliers. En deux semaines, l’entreprise pense pouvoir fabriquer environ 40 000 masques.

Est-ce que Bigarade exagère ? Je ne le crois pas. Ses masques se vendent au même prix que les autres sur le marché.

Je comprends la peur que certains ont d’être floués par les temps qui courent. Il faut être vigilant. Mais il ne faut pas partir en peur non plus.

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Dès les premiers jours de cette pandémie, on a senti et louangé la très grande solidarité qui nous gardait soudés les uns aux autres dans cette crise. La pire chose qui pourrait arriver, c’est qu’on la perde. Il y a des jours où je crains de la voir partir…

Nous sommes actuellement confrontés à l’horreur, à des chiffres pas très encourageants, à des périodes de prolongation, à des demandes de plus en plus exigeantes. Ce n’est surtout pas le temps de se désolidariser.

De se lâcher.