(Montréal) Un retour hâtif des enfants à l’école pourrait leur être bénéfique pour le moral, mais cette décision doit être prise avec une extrême précaution, prévient un virologue qui veut éviter à tout prix le déclenchement d’une nouvelle hausse des cas d’infections à la COVID-19.

« On ne peut pas se permettre d’arriver à une deuxième augmentation des cas avant même un deuxième cycle qui pourrait survenir à l’automne », met en garde le virologue et professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Benoit Barbeau.

Celui-ci appelle à un retour progressif sans précipitation et il reconnaît que les gouvernements ont la lourde responsabilité de déterminer « le bon moment » en fonction d’une multitude de données et de facteurs dont il faut tenir compte.

Le professeur Barbeau insiste aussi sur l’importance d’être prêt à faire un pas en arrière.

« Si jamais on s’aperçoit d’une résurgence des cas d’infections, il faut être capable de retourner à des mesures plus importantes de distanciation », dit-il.

Lors de sa conférence de presse quotidienne, vendredi, le premier ministre du Québec François Legault a laissé planer la possibilité de rouvrir les écoles avant le 4 mai. Une suggestion qui a fait bondir de nombreux parents et enseignants qui craignent de servir de cobayes.

Aux côtés du premier ministre, le directeur national de la santé publique, Horacio Arruda, a souligné que les enfants, moins vulnérables aux complications liées à la COVID-19, participeraient à l’immunisation naturelle de la population.

« Les jeunes qui pourraient attraper la maladie avec presque pas de symptômes, c’est comme si on les vaccinait, a expliqué M. Arruda. C’est la vaccination naturelle qui va s’installer. Et c’est important dans la société qu’une certaine partie de la population soit vaccinée. »

Benoit Barbeau décrit effectivement les cours d’école comme des lieux propices à la propagation de toutes sortes d’infections qui ont servi historiquement à l’immunisation collective. Cependant, s’il est vrai que la majorité des enfants ont des symptômes beaucoup plus légers, il faut faire attention aux nombreux adultes qui vont les côtoyer à l’école comme à la maison.

De plus, les enfants asthmatiques et ceux qui souffrent de maladies chroniques, qui sont immunosupprimés, ne pourront pas retourner à l’école.

Une minorité d’enfants pourraient aussi développer des symptômes plus sévères de la maladie sans que l’on ne sache pourquoi. Il pourrait s’agir de raisons génétiques ou liées à la réaction de leur système immunitaire.

Est-on véritablement immunisé ?

Selon le virologue Benoit Barbeau, l’expérience passée du syndrome respiratoire aiguë sévère (SRAS), laisse croire qu’une personne infectée développerait une immunité la protégeant pour quelques années contre toute nouvelle résurgence de la maladie.

Cependant, une nouvelle théorie commence à circuler dans la communauté scientifique faisant état de patients considérés guéris ayant été victimes d’une deuxième phase de symptômes de la COVID-19.

Le Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) de la Corée du Sud parle de 51 patients considérés guéris qui auraient reçu un deuxième test positif. Selon les médecins, il ne s’agirait pas d’une deuxième infection, mais d’un réveil du virus entré en dormance.

« Pour l’instant, on ne détecte que le matériel héréditaire du virus. Est-ce que ce matériel représente un virus infectieux ou non infectieux ? Cette question-là demeure en suspens », observe le professeur Barbeau expert en biologie moléculaire et cellulaire.

« D’autres experts laissent entendre la possibilité que le virus puisse entrer en latence et qu’il demeure dormant à l’intérieur d’une personne. Il ne faut pas prendre cela pour acquis, mais l’idée commence à circuler », tient-il à préciser.

Pour lui, l’état actuel de la science indique qu’en théorie une personne qui guérit de la COVID-19 devrait être immunisée pour quelques années.

« Ce virus-là ne semble pas muter ou se modifier grandement. Il y a une certaine stabilité, ce qui veut dire que si vous êtes infecté votre système immunitaire devrait se protéger en vue d’une seconde infection », résume-t-il.

Une lourde décision

L’immunisation collective par les enfants peut s’avérer efficace si l’on surveille étroitement la propagation du virus. De l’avis de Benoit Barbeau, cette possibilité représente « une zone grise » où les autorités de santé publique vont devoir manœuvrer avec doigté.

« Et même si l’on garde la distanciation sociale, les enfants n’ont pas le même réflexe. On peut leur expliquer, mais ils n’auront pas la même rigueur », note notre expert.

« Si on est dans une situation où on a un nombre d’infections encore trop élevé au Québec, et ils le savent, je crois que cette mesure serait trop hâtive et pourrait nous causer plus de problèmes que la solution d’une immunité collective », tranche-t-il.