Ils vivaient dans des résidences pour aînés. Et ils ont été tués par le coronavirus. Au Québec, les centres d’hébergement sont au cœur de la crise. Au moins 18 résidants y ont été terrassés par le virus. Derrière ces chiffres, il y a des histoires. La Presse vous en raconte trois.

Albany Paul, 88 ans : « Papa, on aimerait ça être avec toi »

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Albany Paul et sa fille, Nicole

Après des jours de fièvre et de difficultés respiratoires, Albany Paul est affaibli par la COVID-19. Une infirmière du CHSLD de LaSalle place un téléphone contre l’oreille de l’homme de 88 ans. Sa fille lui souffle quelques mots. « Papa, on aimerait ça être avec toi, mais on ne peut pas. Tu peux t’en aller. Va-t’en. Mario, Yves et moi, on t’aime. C’est le temps d’aller rejoindre maman et notre sœur Chantal. »

En entendant la voix de sa fille, Albany Paul, qui souffre d’alzheimer depuis huit ans, ouvre grands les yeux. Puis il les referme. « Je pense que votre père vient de partir », murmure l’infirmière. 

C’est dans ces mots, la parole entrecoupée de sanglots, que Mario et Nicole Paul racontent les derniers moments de leur père, dimanche dernier, un homme « aimant » et « jovial ».

Nicole Paul visitait son père au moins deux fois par semaine pour le faire manger, pour le raser, pour le distraire. Quand le gouvernement a annoncé l’interdiction de visiter des résidences pour personnes âgées, elle a pris l’habitude d’appeler le CHSLD pour prendre des nouvelles une fois par semaine, pour ne pas surcharger le personnel. 

Mais le vendredi 27 mars, quelque chose ne tourne pas rond. Personne ne répond à ses appels. 

Je rappelle le samedi encore et encore. Je laisse des messages. Je commence à être en panique.

Nicole Paul

La femme se rend à la résidence, sachant qu’elle ne pourra pas y entrer, afin d’obtenir des renseignements.

On finit par l’appeler en fin d’après-midi. L’état de santé de son père décline gravement, on lui administre de la morphine et il est placé en isolement, car le personnel soupçonne qu’il est atteint de la COVID-19. 

Même s’ils ont eu peu d’informations concernant la santé de leur père, les enfants d’Albany Paul n’éprouvent aucune colère envers le CHSLD de LaSalle, qui compte 12 cas de COVID-19, dont 2 fatals. Au contraire, ils sont reconnaissants du travail du personnel et de leur « ange gardien » qui a permis à Nicole de parler à son père une dernière fois avant qu’il ne rende l’âme.

Mario Paul aurait aimé être au chevet de son père. Mais il se sent soulagé, car celui-ci n’arrivait plus à parler, à bouger, à manger seul.

« Ça nous fait beaucoup de peine de perdre notre père dans ce contexte, dit-il. Mais, c’est aussi une délivrance de le voir partir. » 

Françoise Langlois, 83 ans : « Elle n’est pas décédée toute seule »

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Françoise Langlois, 83 ans

« Au moins, elle n’est pas décédée toute seule. Pour nous, c’est très important. »

Confinée dans sa maison de Louiseville, Céline Langlois vit difficilement son deuil. Sa sœur Françoise est morte le 25 mars dernier à l’hôpital Pierre-Le Gardeur. La famille n’a pas pu l’accompagner dans la mort. 

Mais elle n’est pas partie seule. 

Deux membres de l’équipe soignante du centre hospitalier de Lanaudière sont restées à son chevet jusqu’à toute la fin. Jusqu’à son dernier souffle. Pour les proches, c’est une consolation. 

« Nous voulons les remercier. Pour nous, ça veut dire beaucoup », dit Céline Langlois.

La dernière fois qu’elle a parlé à sa sœur, c’est le dimanche 22 mars. « Je l’ai appelée et je l’ai trouvée essoufflée. Ce n’était pas elle. »

Malgré ses 83 ans, Françoise Langlois était « en pleine santé ». 

On a fait un party toute la famille il y a un mois et elle dansait. [Sa mort] a été une grosse surprise pour nous. Ça ne se pouvait pas.

Céline Langlois

L’octogénaire, qui avait six frères et sœurs vivants, habitait depuis octobre à la résidence EVA de Lavaltrie. Elle fait partie des six locataires de l’endroit qui ont succombé à la COVID-19.

« Elle avait vendu sa maison. Elle aimait ça. Elle était bien », dit sa sœur Céline. 

Elle la décrit comme une femme active qui aimait jouer aux quilles, danser et faire des marches.

Le dimanche 22 mars, donc, après l’appel de Céline, un membre de la famille a contacté l’infirmière de la résidence pour lui faire part de ses inquiétudes.

Le lendemain, la femme était transportée à l’hôpital. Deux jours plus tard, le mercredi 25 mars à 22 h 20, elle succombait.

« Elle a sûrement été contaminée à la résidence, croit sa sœur. Avant qu’ils les confinent [à leurs appartements], elle se promenait ». Mme Langlois prenait notamment des repas à la salle à manger commune et participait aux activités de l’établissement.

Sur Facebook, son filleul et neveu, Ronny Lessard, a lancé cet appel aux Québécois.

« SVP tout le monde, prenez ce virus très au sérieux. Nous sommes en guerre contre un ennemi qui est invisible et que nous ne pouvons combattre pour l’instant. La distanciation sociale, se laver les mains à chaque entrée et sortie d’une place et désinfecter votre maison sont les seules choses que nous pouvons faire pour [nous aider nous-mêmes] et les personnes proches de notre cœur. »

Guy Charbonneau, 83 ans : « Restez à la maison pour protéger votre famille »

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Guy Charbonneau, 83 ans

Guy Charbonneau, cet « homme de famille », est mort seul, aux soins intensifs de l’hôpital de Rouyn-Noranda le 27 mars dernier.

« La COVID-19 a eu raison de lui aux soins intensifs. Il n’a pas pu être entouré de sa famille si précieuse à ses yeux », se désole sa petite-fille Annabelle Guimond.

Ce bon vivant de 83 ans était en excellente santé avant la pandémie. Il n’avait ni problèmes pulmonaires ni ennuis cardiaques, dit sa petite-fille. Véritable « gars de l’Abitibi », il était même allé pêcher sur la glace il y a trois semaines. 

« Quand on dit de rester chez vous pour sauver les autres, [eh] bien c’est vrai », a écrit sa petite-fille sur Facebook pour conscientiser la population. 

Depuis le début, mon grand-père respectait les recommandations du gouvernement. Il restait chez lui. Il est quand même décédé de ce virus trop contagieux.

Annabelle Guimond

M. Charbonneau vivait dans une résidence privée pour personnes âgées autonomes — Sélection Bleu horizon — à Rouyn-Noranda. Sa famille ignore de quelle façon il a contracté le virus puisqu’il respectait les règles de confinement. Sa conjointe, avec qui il vivait, a aussi contracté le virus. Elle est actuellement hospitalisée dans un état stable. 

Au départ, M. Charbonneau croyait avoir un rhume, puisqu’il toussait, mais ne faisait pas de fièvre, raconte Mme Guimond. Le jeudi 26 mars, il est allé consulter dans une clinique, où on l’a envoyé aux urgences de l’hôpital de Rouyn, situé en face. Il a rapidement été transféré aux soins intensifs où il est décédé en moins de 24 heures, poursuit-elle.

« On ne cherche pas de coupable, ajoute Mme Guimond. Tout ce qu’on dit, c’est : restez à la maison pour protéger votre famille, il est trop tard pour la nôtre. » 

Seul baume dans leur épreuve : M. Charbonneau a eu le temps de prendre le premier de ses arrière-petits-enfants dans ses bras quelques semaines avant sa mort. « Je suis tellement contente qu’il ait pu rencontrer mon fils avant de mourir », lâche sa petite-fille, la nouvelle maman, Annabelle Guimond, émue au bout du fil.