Les caquistes appelaient cela la « passe du coyote ». En 2021, le gouvernement Legault avait surpris tout le monde en trouvant une façon d’inscrire la nation québécoise dans la Constitution canadienne.

Personne n’avait pensé à cette astuce. C’est à ce genre de manœuvres que pense François Legault en lançant un comité devant lui recommander des façons « d’accroître l’autonomie du Québec ».

Sur le plan stratégique, l’objectif est évident. La montée du PQ, qui promet un référendum dès un premier mandat, menace la CAQ. Elle est prise entre l’indépendance et le fédéralisme. Et son nationalisme autonomiste manque de victoires à revendiquer.

C’est en partie à cela que servira le rapport des constitutionnalistes, fiscalistes et autres experts. On y trouve une diversité idéologique, avec des indépendantistes et des fédéralistes.

Les gouvernements commandent souvent des rapports pour pelleter un problème vers l’avant. Ce n’est pas le cas ici. La démarche ressemble plutôt à un appel à l’aide.

M. Legault veut des résultats, comme le prouve l’échéancier serré. Et il a aussi confié la mission à l’infatigable Simon Jolin-Barrette, un ministre réputé pour mener ses dossiers à terme.

Mais au-delà de la stratégie, sur le fond, l’exercice est bienvenu. Le dernier remonte à Yves Séguin en 2002, mais son mandat était plus restreint – il se concentrait sur le déséquilibre fiscal. Et le précédent était la commission Bélanger-Campeau sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec, en 1992.

Bref, le Québec était mûr.

Trois options s’offrent aux fédéralistes qui veulent défendre le Québec : rapatrier des pouvoirs en négociant avec le fédéral, occuper davantage de pouvoirs de façon unilatérale ou tisser des alliances avec les autres provinces afin d’influencer Ottawa.

Avec le refus anticipé du gouvernement Trudeau, réclamer plus de pouvoirs équivaut à demander quelque chose qui sera refusé. Ce sont donc surtout les démarches unilatérales qui intéressent les caquistes.

L’idée d’une Constitution du Québec, à laquelle M. Jolin-Barrette a déjà travaillé, pourrait être relancée. On peut aussi penser à des dédoublements administratifs ou à des initiatives fiscales.

Un exemple d’une ancienne « passe du coyote » : l’impôt provincial, une décision unilatérale prise par Maurice Duplessis après le déclenchement de la commission Tremblay, et à la colère du fédéral.

Outre la fiscalité, deux sujets risquent d’intéresser particulièrement les auteurs du rapport : la culture et l’immigration.

Le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, s’est récemment fait recommander par un panel d’experts de rendre les œuvres plus visibles sur les plateformes numériques. On lui proposait de déterminer les obstacles empêchant le Québec de protéger ses productions culturelles. Le nouveau rapport pourrait effectuer ce travail.

En immigration, la réflexion sera encore plus importante. Et elle pourrait mettre tous les partis face à leurs contradictions.

Peu importe la question posée, François Legault trouve une façon de revenir à la même réponse : l’immigration. La hausse récente crée une pression insoutenable sur le logement, l’éducation et les autres missions de l’État.

Il le répète partout pour créer un rapport de forces avec le fédéral.

Or, il en avait déjà un. En 2022, il avait emporté une victoire écrasante et il faisait face à un gouvernement libéral minoritaire. Et pourtant, il n’a rien obtenu. La réponse, prévisible, fut « non ».

Renégocier l’entente sur l’immigration, signée avec le fédéral en 1991, serait risqué. Elle est avantageuse pour le Québec. La rouvrir pourrait donc mener à des reculs.

Une autre option reste à tester : pourrait-on utiliser des dispositions de cette entente pour obtenir plus de contrôle sur l’immigration temporaire ? C’est possible, soutient Anne-Michèle Meggs, ex-directrice de la planification au ministère de l’Immigration⁠1.

Mais si ça fonctionne, de nouvelles questions difficiles se poseront.

Les solidaires et les libéraux accusent M. Legault d’imputer aux immigrants ses échecs.

Ils ont raison, les pénuries de logements, d’enseignants et de soins existaient bien avant la montée rapide de l’immigration temporaire. Mais il est également indéniable que cette hausse de résidents non permanents – l’équivalent de la population de Québec ajoutée en moins d’une décennie – aggrave ces problèmes. On devrait pouvoir rappeler ce fait, sur un ton sobre et avec les nuances requises, sans être insulté.

Si jamais le Québec augmente ses pouvoirs sur les travailleurs et les étudiants étrangers, il devra toutefois passer de la recherche de coupables à celle de solutions.

De combien veut-on réduire l’immigration temporaire ? Dans quelles régions ? Dans quels secteurs, et auprès de quels employeurs ? Peu importe la réponse, la liste de mécontents sera longue.

Quand il a fondé la CAQ, François Legault croyait que le débat sur l’indépendance était terminé. Les Québécois avaient dit « Non » deux fois, et il fallait en prendre acte, disait-il.

Il est opposé à un référendum, qui serait selon lui perdant et qui ferait gaspiller au Québec ce qu’il reste de son rapport de forces face au fédéral.

Reste que M. Legault n’est pas devenu pour autant un ardent fédéraliste. C’est plutôt le Parti libéral qui serait heureux de se draper dans l’unifolié et en misant sur la peur de l’indépendance.

Avec ce rapport, M. Legault demande de l’aide pour se défricher la troisième voie de l’autonomisme. Mais au-delà de la stratégie partisane, l’exercice est bienvenu. Car il apportera des réponses concrètes aux questions qu’on se pose, et à celles dont on ignorait peut-être l’existence.

1. Lisez « La saine gestion de l’immigration est une question existentielle pour le peuple québécois »