Un bungalow de Boucherville avec un immense jardin à 325 000 $. Un quintuplex de Laval à 400 000 $. Un condo rénové de quatre pièces dans Villeray à 199 000 $.

On pourrait croire que je sors des exemples du siècle dernier, mais ces propriétés à vendre étaient affichées dans les petites annonces de La Presse en février 2014, il y a tout juste 10 ans.

À une époque où l’on pouvait encore investir en immobilier sans vendre un rein, ou son âme au diable.

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Une rubrique immobilière tirée des pages de La Presse, en février 2014

L’accès à la propriété passe inaperçu ces jours-ci, caché dans l’angle mort de la crise du logement. Mais pour toute une génération, c’est un rêve devenu inaccessible. Impensable, même : 64 % des jeunes Québécois ont « abandonné » l’idée de posséder un jour une maison ou un condo, selon un sondage Ipsos.

Une iniquité historique se creuse entre la génération montante et celle qui l’a précédée.

Pour la première fois en au moins un demi-siècle, le taux de propriété a reculé au Québec. Il a glissé de 61,3 % à 59,9 % entre 2016 et 2021, loin derrière la moyenne canadienne de 66,5 %.

Cela pourrait avoir l’air d’un détail statistique, mais c’est plutôt une tendance qui ne montre aucun signe de vouloir se renverser.

Le Québec redevient, peu à peu, un peuple de locataires.

Bien des ménages consacrent une part plus grande que jamais de leurs revenus au paiement de leur hypothèque – lorsqu’une banque accepte de leur faire un prêt. « L’abordabilité » du marché immobilier est à son plus bas depuis au moins 1981 un peu partout au pays, selon un rapport troublant publié par Charles Saint-Arnaud, économiste en chef de la firme Alberta Central1.

Et c’est à Montréal, de toutes les grandes villes canadiennes, que la situation s’est le plus dégradée depuis un an, affirme-t-il.

Dans la métropole, les familles ont maintenant besoin d’un revenu annuel net, donc après impôts, de 121 000 $ pour pouvoir penser s’offrir une propriété au prix moyen, avec une mise de fonds de 20 %.

Selon les calculs de Saint-Arnaud, il faudrait que les prix chutent de 43 %, ou que les salaires augmentent proportionnellement, ou encore que les taux d’intérêt descendent tout près de zéro, d’un seul coup pour que les propriétés redeviennent « abordables » pour le Montréalais moyen.

Ces scénarios n’arriveront pas, bien entendu.

Pourquoi accorder autant d’attention aux acheteurs de maisons et de condos, alors qu’il y a un manque criant de logements abordables et que les sans-abri se comptent par milliers ?

On peut – et on doit – s’intéresser à ces deux fronts en même temps. Ils sont interreliés.

Il y a d’abord la question de la création de richesse, si chère au gouvernement de François Legault.

L’achat d’une résidence constitue pour la majorité des gens le principal investissement de toute leur vie et le morceau le plus important de leur patrimoine. Une sorte d’épargne forcée, bien concrète, sous forme de brique et de mortier.

L’accession à la propriété fournit aussi de l’oxygène en continu au marché locatif. Les gens qui achètent libèrent en général un logement, qui devient disponible pour un autre locataire. Un effet domino, si l’on veut.

Enfin, l’achat d’une résidence constitue une forme de protection contre les évictions et autres hausses de loyer abusives, devenues monnaie courante dans le marché locatif québécois.

Certains commencent à parler du besoin d’une nouvelle « Corvée habitation », voire d’un « plan Marshall », pour donner un coup de pouce aux aspirants proprios.

Des termes chargés, qui évoquent la crise et l’urgence, et qui m’apparaissent tout à fait justifiés dans le contexte actuel.

Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, a déposé lundi un plan assez étoffé à cet effet. Il propose une série de mesures, inspirées pour la plupart de programmes gouvernementaux des années 1980 et 1990.

Le PQ suggère entre autres un rabais de 3,5 % sur le taux hypothécaire en vigueur pour les premiers acheteurs, payé par l’État pendant une période de trois ans. Assez semblable au programme « Mon taux, mon toit » du gouvernement de Robert Bourrassa.

Un autre mémoire, déposé au ministère des Finances dans le cadre des consultations sur le budget 2024-2025, y va d’une proposition audacieuse. Les promoteurs Laurence Vincent, présidente de Prével, et Martin Galarneau, associé du groupe TGTA, suggèrent de constituer un fonds de 1 milliard de dollars pour stimuler l’achat d’une première résidence neuve.

Cette enveloppe viendrait fournir 20 % du prix d’achat, soit l’équivalent de la mise de fonds, somme qui devrait être remboursée au terme de 10 ans en y ajoutant la plus-value réalisée sur la propriété. Ce coup de pouce pourrait réduire les paiements mensuels d’environ 500 $ par mois pour un condo de 400 000 $, aux taux actuels.

Comme le fonds se recapitaliserait au fur et à mesure que les prêts seraient remboursés, il s’agirait d’un investissement à coût nul, peut-être même légèrement rentable, pour l’État québécois, estiment les promoteurs.

Des idées parmi d’autres, qui ont toutes le mérite de brasser la cage.

Ceux qui misent sur le prochain budget provincial pour aider les premiers acheteurs ne devraient pas retenir leur souffle. Rien de bien concret n’est prévu à cet égard, selon mes informateurs.

Québec estime avoir déjà investi une fortune dans le logement abordable et attend de voir comment ces sommes se matérialiseront en mises en chantier. Le gouvernement croit que c’est en laissant davantage d’argent dans les poches des contribuables, notamment avec des baisses d’impôt, qu’il pourra aider les familles à acquérir une première maison.

L’idée se défend… sur papier.

Mais pour tous ces jeunes (et moins jeunes) de la classe moyenne qui ont déjà du mal à payer leur loyer à 2000 $ et leur facture d’épicerie galopante, cette absence d’aide directe risque d’être reçue comme une gifle.

1. Lisez le rapport de Charles Saint-Arnaud (en anglais)