Alors que la fumée blanche retombe, on commence à mesurer les retombées de l’entente de principe de Québec avec la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ).

Elle risque de laisser songeurs plusieurs membres de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE). En mai dernier, la section montréalaise de ce syndicat, l’Alliance des professeures et des professeurs de Montréal, se réunissait au Théâtre St-Denis pour voter à 98 % un mandat de grève générale illimitée. C’était très tôt.

En coulisses, d’autres syndicats s’en étonnaient. L’Alliance, elle, s’en félicitait. Elle disait vouloir être un « leader ». C’est ainsi que quelque 600 membres du syndicat ont déclenché l’engrenage qui allait entraîner leurs 66 000 autres collègues dans ce combat, avant même le début de l’été.

La cause des enseignantes est noble. Leur travail n’est pas valorisé à sa juste valeur. En se battant pour leurs conditions de travail, elles aident aussi leurs élèves. Mais la question des moyens demeure entière.

La FSE-CSQ s’en est tenue à une stratégie plus conventionnelle. Elle a commencé par des grèves rotatives. Elle était prête, avec le reste du Front commun, à intensifier ses moyens de pression pour passer à la grève générale illimitée dans les prochains jours. Elle a finalement obtenu une entente de principe sans soumettre ses membres à une grève de plus de 20 jours sans salaire.

Une grève générale illimitée est l’option de dernier recours, quand rien d’autre ne fonctionne. Au printemps dernier, il était un peu tôt pour présumer d’une impasse dans les négociations. Certes, elles avançaient très lentement. Mais personne ne s’attendait à un début de déblocage avant le début de l’automne.

Avec le recul, on peut se demander si la méfiance viscérale à l’égard du gouvernement caquiste n’a pas nui.

Pour vaincre un adversaire, il faut le comprendre. Si on ne réussit pas à savoir ce qu’il pense, on ne pourra pas prédire sa prochaine réaction. Aux yeux de la frange la plus militante de la FAE, la CAQ est un gouvernement de droite qui veut affaiblir les services publics.

D’ailleurs, c’est une idée qu’on entend de plus en plus : le gouvernement Legault ne croirait pas aux services publics. La grève démontrerait qu’il veut les affaiblir. Et peut-être même entamer une insidieuse privatisation.

Pourtant, plus les services publics se dégradent, plus ce gouvernement devient impopulaire. Et puisqu’il n’est pas masochiste, il veut les protéger.

Il est vrai que dans les deux dernières décennies, l’éducation n’était pas vraiment une priorité. On n’a pas prévu la hausse des cohortes, qui aurait requis de former plus d’enseignantes et de professionnelles. On a aussi tardé à rénover les écoles.

N’empêche que de 2004 à 2014, les dépenses de cette mission ont crû de 35 %. C’est un petit peu moins que le PIB, qui a monté de 38 %. L’effort a donc été très moyen. Mais ce n’était pas de l’austérité non plus.

De 2014 à 2016, les compressions budgétaires ont bel et bien fait mal. Cette période fut toutefois brève. En 2017, les dépenses en éducation sont reparties à la hausse, et cette augmentation s’est accélérée sous les caquistes.

De 2019 à 2023, le budget en éducation a augmenté de 6,4 % par année, soit plus que celui des autres ministères. Et de 2024 à 2026, la hausse annuelle moyenne sera aussi de 6,4 %, comparativement à 3,6 % pour l’ensemble des portefeuilles.

Tous les syndicats reprochent au gouvernement d’avoir diminué les impôts. Selon eux, cette somme aurait dû être injectée dans les services publics. Cette critique se défend très bien. Mais il n’y a pas de lente privatisation, bien au contraire.

Des garderies privées non subventionnées sont rapatriées dans le réseau public. Même chose pour des CHSLD privés non conventionnés, qui seront soumis aux conditions du public. Et en santé, les agences de placement privées seront graduellement éliminées.

Certes, des projets pilotes existent pour créer de mini-hôpitaux privés. Mais dans l’ensemble, on ne peut pas parler d’un gouvernement qui veut privatiser les services publics.

La FAE déplore avec raison le système à trois vitesses qui perpétue et aggrave l’inégalité des chances. Mais il n’a pas été créé par les caquistes, et ce n’est pas un sujet qui se réglera durant cette négociation.

La FAE a été créée en 2006 à la suite d’une crise interne à la FSE-CSQ. Des enseignants plus militants s’étaient désaffiliés. La tension n’est jamais disparue depuis entre les deux camps.

En 2019, la FAE avait été la première à s’entendre avec le gouvernement caquiste. Grâce aux clauses de parité salariale, la FSE-CSQ en avait profité. Cette fois, ce sera probablement le contraire.

Si les membres de la FSE-CSQ appuient l’éventuelle entente, l’exécutif syndical ne se gênera pas pour le rappeler lors de la prochaine période de maraudage. La FAE aurait toutefois raison de dire que ses sacrifices ont accentué la pression sur le gouvernement et que la FSE-CSQ en a profité.

À court terme, toutefois, tout le monde sera prudent. Les syndicats préparent la désescalade pour que leurs membres entérinent ce qu’ils auront négocié. Et le gouvernement caquiste a tout intérêt à être d’une discrétion extrême.

Pour que les syndiqués appuient les ententes, ils devront sentir qu’ils ont eu raison d’aller jusqu’au bout de leur rapport de force. Qu’ils ont gagné. Et chaque petit geste de réjouissance de Québec leur donnera l’impression que ce n’est pas le cas.