Pour résumer le parcours politique de Catherine Dorion, je propose deux scènes.

La première se déroule dans l’enchantement des débuts. On est en octobre 2018. La nouvelle députée de Taschereau vient de prêter serment avec ses collègues. Les journalistes l’encerclent pour la mitrailler de questions.

Le sourire aux lèvres, elle compare l’exercice à un interrogatoire de l’URSS. « Je trouve ça fascinant ce que ça doit faire aux politiciens », remarque-t-elle.

Elle a raison, ce barrage incite à la langue de bois – mieux vaut ne rien dire que de gaffer. La députée omettait toutefois un détail.

En campagne, Québec solidaire (QS) avait défendu le feu « compromis Bouchard-Taylor » sur le port de signes religieux. Selon la rumeur, QS songeait à changer cette position. Était-ce le cas ? Avait-elle fait campagne en promettant une mesure qu’elle voulait combattre ? C’était une question légitime, surtout pour une formation qui se dit plus intègre que les vieux partis. Mais elle a contre-attaqué en jouant la victime.

Quelques mois plus tard, les membres de QS modifiaient bel et bien leur position. « Ce qui menace notre culture, ce n’est pas l’islam ! », lançait Mme Dorion. L’ennemi, ajoutait-elle, c’est « le capitalisme qui couche dans le lit de nos gouvernements ».

Tout le monde peut changer d’idée, et nombre de Québécois seront d’accord avec elle sur le fond. Mais ils auront de la difficulté à comprendre la deuxième scène.

Elle se déroule en octobre 2021. Le milieu culturel et plusieurs politiciens manifestent contre la vente de la Maison Chevalier à des intérêts privés, la puissante famille Tanguay. Libéraux et péquistes se succèdent au micro pour dénoncer le gouvernement caquiste. Il y a une absente remarquée : la députée de Taschereau. C’était pourtant un sujet idéal pour cette porte-parole en culture. À la surprise de ses collègues, elle s’était ralliée à la vente au privé⁠1 – le dossier n’est pas simple, consultez le lien en fin de chronique pour comprendre sa position.

À sa décharge, elle a essayé de reprendre l’initiative par après avec le monastère des Ursulines. Reste qu’elle a appris que faire de la politique, c’est plus compliqué que de pourfendre le grand capital.

Catherine Dorion ne rentrait pas dans le moule, et il n’y a rien de mal à cela.

Sa métaphore de la « ligne de coke » pour le troisième lien Lévis-Québec ? Une façon inorthodoxe, mais efficace de vulgariser le concept ronflant du trafic induit.

Son t-shirt de Patrice Desbiens ? Il était joli, et s’il a fait vendre un recueil de poésie, il aura été utile.

L’ex-députée déplorait que les médias se préoccupent plus de la forme que du fond, mais elle savait sur quel bouton appuyer pour faire parler d’elle.

Après son passage à Tout le monde en parle, en octobre 2018, elle avait publié sur X une photo des jambes des quatre députées invitées. En opposant ses bottes aux talons hauts portés par les représentantes du PQ, du PLQ et de la CAQ, elle posait en féministe authentique qui refuse les standards de beauté. Elle avait tendance à voir les autres comme des naïfs ou des vendus.

Manon Massé aussi détonnait à son arrivée à l’Assemblée nationale, avec sa moustache. Mais on a fini – heureusement – par passer à autre chose. Notamment parce qu’elle ne paraissait pas elle-même si intéressée par les symboles.

Mme Dorion parle comme si elle n’a jamais eu de véritable pouvoir. Pourtant, elle était législatrice.

Si elle voulait dépoussiérer l’Assemblée nationale, Mme Dorion aurait pu avancer des solutions concrètes. Il y avait justement une consultation sur la réforme parlementaire durant son mandat. Mais on ne l’a pas entendue.

Elle pouvait déposer des projets de loi, amender ceux à l’étude et proposer d’autres politiques. Elle aurait pu mettre son talent de communicatrice au service de causes difficiles à vendre, comme la réforme du mode de scrutin.

Face à un gouvernement majoritaire, le pouvoir de l’opposition est très limité. Reste que d’autres ont déjà réussi à faire des gains.

On la compare souvent à Véronique Hivon ou Françoise David, qui ont fait avancer des dossiers dans l’opposition – respectivement avec la commission Mourir dans la dignité et avec la défense des locataires aînés.

Ça ne me semble pas le meilleur exemple. Mmes Hivon et David se démarquaient par leur capacité à bâtir des consensus. Même si ces qualités sont admirables, il y a de la place aussi en politique pour des électrons libres.

Je comparerais plutôt Catherine Dorion à Amir Khadir. Le cofondateur de QS était réputé pour ses coups de gueule, mais son œuvre ne se limitait pas à cela. Grâce à son travail acharné, il a fait avancer les enquêtes sur le financement illégal des partis. On peut aussi penser à Marwah Rizqy, qui lit chaque note de bas de page dans les rapports pour confronter le gouvernement à ses erreurs.

Ce labeur ne semblait pas passionner Mme Dorion. Elle s’est investie dans certains dossiers, comme la réforme de la Loi sur le statut d’artiste. Mais avec elle, la politique ressemblait surtout à un mode d’expression.

La solidarité commence avec sa famille. Mme Dorion ne s’est pas fait d’amis à son départ en 2022, en disant ne plus voir à quoi servait l’implication politique. Difficile après pour QS de recruter des militants.

Cette fois, elle publie son livre juste avant le congrès de QS. Elle déstabilise Gabriel Nadeau-Dubois, qui subira un vote de confiance, ce qui ne la chagrinera pas. Mais elle détourne aussi l’attention des enjeux que les membres voudront mettre de l’avant, comme le logement et l’environnement.

La députée s’est confinée dans une posture d’héroïne tragique, prisonnière d’un système pourri. Elle était satisfaite de brasser la cage, mais elle a oublié que pendant quatre ans, la porte lui était ouverte, au moins un peu.

1. Lisez la position complète de Catherine Dorion sur la Maison Chevalier