Écoles juives visées par des coups de feu à Montréal, croix gammées, synagogues vandalisées, graffitis de menaces à proximité d’un centre islamique, appels à la violence contre les juifs d’un imam autoproclamé, appels à la violence contre les Gazaouis d’un cardiologue réputé, dérapages à l’université, invectives haineuses de part et d’autre…

Un mois après le massacre du 7 octobre en Israël, dans la foulée de l’escalade meurtrière au Proche-Orient, le Québec n’est malheureusement pas à l’abri de l’effroyable flambée de la haine qu’attise le conflit israélo-palestinien. Il n’est pas à l’abri de l’inquiétante montée du « nous contre eux ».

« Je suis profondément troublé par la montée de l’antisémitisme et du sectarisme antimusulman », écrivait cette semaine sur X le secrétaire général des Nations unies, António Guterres. « Les images de la souffrance au Moyen-Orient sont déchirantes et bouleversantes. Mais la rhétorique haineuse et les actions provocatrices doivent cesser. Nous devons trouver un moyen de nous raccrocher à notre humanité commune. »

António Guterres a raison. Nous raccrocher à notre humanité commune, c’est en effet la seule issue. La plus difficile à trouver aussi, alors que les tensions et les plaies sont vives et que les injonctions à choisir son camp fusent, selon une rhétorique guerrière binaire qui nous invite finalement à choisir entre deux haines.

Entre deux haines, il n’y en a pas une qui est moindre ou plus acceptable, cela va de soi. Les deux devraient nous répugner également. Car en vérité, que l’on parle d’antisémitisme ou de racisme anti-arabe, on parle de la même haine que rien ne justifie.

Chacun a le droit à son opinion sur le conflit israélo-palestinien. Mais personne n’a le droit à sa propre haine. Les actes de violence comme ceux auxquels on a assisté ces derniers jours à Montréal sont inacceptables. Les discours haineux le sont tout autant. Que des mots ? Non. Car c’est d’abord avec des mots que l’on fabrique la haine. C’est d’abord avec les mots que l’on construit des boucs émissaires. C’est d’abord avec les mots que l’on divise la société en « nous contre eux », au mépris de notre humanité commune.

« Que nous soyons Israéliens ou Palestiniens, Libanais, Syriens, juifs ou musulmans, chrétiens ou athées, Français ou Américains, nous ne nous méfierons jamais assez du recours au “nous contre eux”, qui signe fatalement le début de l’obscurantisme et de la cécité », écrivait récemment dans Le Monde l’écrivaine et essayiste Dominique Eddé. Or, ajoutait-elle, l’emploi de ces trois mots enregistre à l’heure actuelle des records terrifiants, d’un bord à l’autre de la planète.

« Le carnage barbare du Hamas, le 7 octobre, n’a pas fait que des milliers de morts et de blessés civils israéliens, il a jeté une bombe dans les esprits et dans les cœurs, il a arrêté la pensée. Il a autorisé le déchaînement des passions contre les raisons et les preuves de l’histoire1. »

Rien ne me semble plus dangereux que cette résurgence du « nous contre eux ». Comme si, entre deux êtres humains otages de ce conflit, nous devrions choisir en vérifiant leurs papiers d’identité qui des deux mérite de faire partie du « nous » humain ayant droit à la vie et à la dignité.

Il ne devrait y avoir rien de contradictoire à exiger à la fois la libération des otages israéliens et un cessez-le-feu humanitaire.

Rien de contradictoire à condamner à la fois le massacre atroce signé Hamas et les bombardements atroces signés Tsahal.

Rien de contradictoire à avoir de la compassion à la fois pour les Israéliens, qui pleurent leurs morts et font face à une terrible montée de l’antisémitisme, et pour les Palestiniens, qui pleurent aussi les leurs, subissent une catastrophe humanitaire sans précédent et font face à une effroyable entreprise de déshumanisation.

Rien de contradictoire à être de tout cœur avec les enfants israéliens tués ou kidnappés par le Hamas tout en étant de tout cœur avec les enfants palestiniens qui meurent sous les bombes d’Israël. Qu’il soit juif ou palestinien, un enfant est toujours un enfant, jamais un soldat ou un dommage collatéral. Qu’il soit juif ou palestinien, un civil innocent est un civil innocent et sa mort, toujours une tragédie.

Ce qui est contradictoire, en revanche, c’est de penser qu’en semant la haine, on récoltera la paix.

Je cite encore Dominique Eddé, dont le texte magistral est à lire absolument : « Souvenons-nous que la vie, la mort, le jour, la nuit, la douleur, l’orphelin, la terre et la paix se disent pareil en arabe et en hébreu. Il est temps pour chacun de nous de faire un immense effort si nous ne voulons pas que la barbarie triomphe à nos portes, pire : à l’intérieur de chacun de nous. »

À méditer.

1. Lisez le texte de Dominique Eddé dans Le Monde (abonnement requis)