Les écologistes sont consternés, les provinces aussi, et Pierre Poilievre est extraordinairement heureux de pouvoir avoir l’air si fâché devant les caméras.

À moins de vous appeler Justin Trudeau, vous l’aviez vu venir. L’exemption de taxe sur le carbone accordée pour le chauffage au mazout ne passe pas bien. Le premier ministre voulait aider les citoyens des provinces de l’Atlantique qui peinent à payer leurs factures, mais il a plutôt fragilisé l’argumentaire sur lequel reposait cette mesure clé de son plan climat.

Et il s’est créé un nouveau casse-tête. La Saskatchewan réclame le même traitement de faveur pour son gaz⁠1. Sinon, elle menace carrément de désobéir au fisc canadien en refusant que sa société d’État perçoive et achemine à Ottawa les recettes de la taxe carbone sur la facture de chauffage au gaz.

M. Trudeau refuse de céder. Il n’y aura pas d’autres exceptions, a-t-il annoncé mardi. Mais la bataille juridique pourrait être relancée.

Avec en toile de fond les gouvernements conservateurs en Alberta et en Ontario qui réclament des exemptions pour le gaz et le propane, et le premier ministre néo-démocrate de Colombie-Britannique qui estime que ces dérogations seraient injustes.

Ça fait désordre. Pourtant, il y a une semaine, tout était tranquille.

Mardi dernier, le Néo-Écossais Sean Fraser, ministre du Logement, résumait en quelques mots l’utilité de la taxe carbone. Elle instaure le principe du pollueur-payeur. Et pour les contribuables aux revenus modestes, elle ne coûte rien – ils reçoivent un chèque du fédéral supérieur aux taxes payées.

Du gros bon sens, comme le répètent l’écrasante majorité des économistes.

À la Chambre des communes, les observateurs bâillaient. Cet échange avec les conservateurs, il se joue chaque jour depuis des années, et les gains et pertes étaient déjà encaissés de chaque côté.

Puis, M. Trudeau jugea bon de s’en mêler. En associant la taxe carbone à la crise du coût de la vie, il donne raison aux conservateurs. Son exemption temporaire de trois ans pour le mazout crée plusieurs problèmes.

Le premier est un conflit dans la fédération. Il avantage des zones rurales qui avaient voté pour lui en 2021 et qui penchent maintenant pour les conservateurs.

Même si la mesure s’applique à tout le pays, c’est surtout dans l’Atlantique que le mazout est utilisé. Il chauffe 30 % des ménages dans les provinces atlantiques.

Le deuxième problème est une incohérence environnementale. Il accorde un traitement d’exception au mazout même s’il pollue plus que le gaz naturel.

Le troisième est une incohérence économique. Si le mazout coûte plus cher, cela sert justement d’incitatif pour s’en défaire.

Il y a bel et bien eu un choc tarifaire. Le prix a bondi de 75 % dans la dernière année, une hausse trois fois plus rapide que celle du gaz. Mais la CBC a calculé que le retrait de la taxe carbone ferait seulement baisser le coût de production de 48 $ à 43 $ par gigajoule pour l’Île-du-Prince-Édouard⁠2. Ce mode de chauffage coûterait encore 2,4 fois plus cher qu’une thermopompe. Le problème est donc le mazout, et non la taxe. Et je le répète : si votre revenu est modeste, à l’heure actuelle, vous recevez au net plus d’argent que vous n’en versez.

Chaque année qui passe, le prix du carbone augmentera. En n’incitant pas les ménages à délaisser maintenant le mazout, on leur prépare un choc tarifaire quand l’exemption prendra fin, dans trois ans. Et on nuit à une politique audacieuse à laquelle travaille Steven Guilbeault : rendre l’électricité carboneutre au Canada d’ici 2035.

Il est vrai que les diverses hausses de prix s’additionnent et font mal, comme le prouvent les queues qui se forment dans les banques alimentaires. À l’Île-du-Prince-Édouard, la demande a quintuplé cette année pour le programme d’aide au chauffage géré par l’Armée du Salut.

Les libéraux ont annoncé jeudi qu’ils offriraient une aide ciblée pour installer des thermopompes. S’ils s’en étaient tenus à cela, il n’y aurait pas eu de controverse.

Mais M. Trudeau a cédé à la panique de ses députés de la région, dont certains menaçaient, dit-on, de démissionner. Pour s’éviter des ennuis à court terme, il s’en est magasiné d’autres qui seront tenaces.

Car le quatrième problème est le précédent créé. Si le critère est l’impression de payer trop, alors il pourra être récupéré par d’autres provinces ou pour d’autres carburants.

Devant la Cour suprême, le fédéral avait plaidé que sa taxe carbone ne visait pas une énergie ou une province en particulier. Elle reposait sur un principe neutre et apolitique, celui du pollueur-payeur. C’est cette logique que M. Trudeau affaiblit.

Il a lui-même commencé à détricoter ce qu’il avait fait avec tant d’efforts, et ses rivaux n’ont plus qu’à tirer sur le fil pour finir le travail.

1. Regardez la vidéo de Scott Moe, premier ministre de la Saskatchewan (en anglais) 2. Lisez le reportage de la CBC (en anglais)