Avec près de 400 000 homicides par année, selon des données publiées par la BBC en 2023, l’humanité incarne, à mon avis, le deuxième vampire parmi les plus sanguinaires de la planète. Évidemment, pour un portrait plus complet du côté meurtrier de notre espèce, il faut ajouter à cette statistique les milliers de victimes qui crèvent dans les conflits autour du monde. En attendant le dévoilement du premier rang, je vous propose d’ouvrir vos cœurs aux chauves-souris, injustement victimes d’une indécrottable aura vampirique à cause de leur apparence.

Une légende raconte qu’autrefois, la chauve-souris vivait au milieu des autres animaux et dormait dans une position normale. Un jour, elle tomba malade pendant sa grossesse, mais personne ne voulait venir à son secours. Elle accoucha quand même d’un mignon bébé avant de rendre l’âme, vaincue par la maladie et l’allaitement.

Le chef du village des animaux demanda aux oiseaux de l’inhumer, mais ils refusèrent en expliquant qu’avec ses dents et l’absence de plumes sur ses ailes, la chauve-souris ne faisait pas partie du peuple à plumes. Le chef se tourna ensuite vers les mammifères, mais ils refusèrent aussi de l’enterrer en expliquant qu’ils ne se reconnaissaient pas dans cet animal dont le physique semblait chimérique.

C’est ainsi que, triste et abandonné à son sort, le petit chiroptère enterra sa maman en solitaire.

Cette légende rapporte qu’à partir de cette sombre journée, la descendance de la chauve-souris décida de dormir à l’envers. Une façon de pointer son derrière à ce créateur qu’elle tenait responsable d’une injustice originelle à son égard.

Encore aujourd’hui, la chauve-souris attire rarement l’empathie et la bienveillance de l’humanité. Au contraire, sa simple proximité provoque une peur déraisonnable chez beaucoup de personnes.

Je vous raconte une petite anecdote sur le sujet. Un jour, une petite chauve-souris est entrée dans mon bungalow. Pour un biologiste comme moi, qui ai toujours adoré les stridents cris nocturnes des grosses chauves-souris frugivores dans les manguiers, cette visite était anecdotique. Mais, les hurlements de ma conjointe m’ont rappelé l’urgence de sortir le « monstre » qui s’était réfugié dans la chambre où dormait notre garçon.

Aidé par mon instinct de chasseur de savane, j’ai rapidement repéré, attrapé et sorti le vagabond devant les yeux admiratifs de ma femme. Je ne pensais jamais qu’une si petite bestiole pouvait me faire sentir aussi big que Batman. Ma balloune de superhéros a quand même vite dégonflé quand ma jolie femme chat a sorti ses griffes et m’a fait comprendre qu’à la moindre autre intrusion du genre dans le bungalow, Batman qui oublie souvent de fermer la porte de la maison allait passer au bat.

Cette frousse historique, qui amène encore à mettre ces paisibles mammifères dans les décors de peur de la fête de l’Halloween, est une construction difficile à ébranler.

Le biologiste et passionné des chauves-souris Richard Brunet m’avait raconté une histoire sur l’origine de cette légende urbaine qui veut que les chauves-souris s’agrippent aux tignasses des humains.

Si on recule dans les années 1960, m’avait-il dit, les femmes avaient les coiffures hautes avec plein de Spray Net dans les cheveux. Or, les odeurs de ces produits chimiques attirent certains insectes qui sont des proies de prédilection des petites chauves-souris. En rasant de trop proche ces touffus appâts à insectes, les griffes des chauves-souris pouvaient accrocher malencontreusement les cheveux.

Voilà donc comment serait née cette croyance qui allait s’ajouter aux fausses et délétères représentations déjà largement véhiculées par les légendes et le cinéma sur ces mammifères volants. Je parle ici de ces croyances qui ont fait d’eux les compagnons des vampires, fantômes, zombies et loups-garous dans cette fête d’Halloween.

Oui, il est vrai que certaines chauves-souris peuvent nous refiler des maladies si on se mêle trop de leur vie. Raison pour laquelle on gagne à préserver leur habitat et éviter la promiscuité avec l’humanité.

Les chauves-souris vampires existent aussi. Si vous dormez à la belle étoile dans certaines régions de l’Amérique centrale et du Sud, des chauves-souris de la famille des Desmodontinae peuvent vous voler un peu de sang. Pendant que vous roupillez, cette petite bête vous anesthésie localement, fait une petite incision entre vos orteils et vous siphonne quelques millilitres du précieux et nutritif liquide. Sa salive contient aussi de la draculine, un anticoagulant qui l’aide à garder le flot de sang continu pendant son repas. Mais, rassurez-vous, leurs attaques sur des humains sont extrêmement rares. Ces vampires préfèrent le sang des animaux, surtout les mammifères d’élevage.

Comme la recherche nocturne de sang n’est pas toujours évidente, dans les grottes qu’ils habitent, ces vampires sont plutôt des généreux qui partagent et s’entraident. En vertu de cet altruisme qui semble avoir inspiré Héma-Québec, ceux qui ont ramené du sang régurgitent une partie de leur pitance à ceux qui n’ont pas trouvé de proie à ponctionner. Donnez à un voisin pour lui sauver la vie, c’est aussi investir dans un geste solidaire qui pourrait sauver la nôtre en cas de besoin. En cause, notre bénéficiaire d’aujourd’hui sera peut-être notre donneur de demain.

Bref, de ce côté-là, les chauves-souris sont peut-être même un modèle à copier pour le deuxième vampire parmi les plus sanguinaires de la création. Juste devant l’humain, le moustique est le vampire originel le plus redoutable. L’activité hématophage des moustiques tuerait indirectement près de 700 000 personnes sur la planète. Le moustique est impliqué dans la transmission de maladies comme le chikungunya, la dengue, le Zika, la fièvre jaune, la fièvre du Nil occidental, le paludisme, etc.

À votre prochaine Halloween, remplacez les traditionnelles chauves-souris de votre décor par des moustiques et vous serez bien plus près de la réalité.

Lisez Nos copines les chauves-souris