Si quelqu’un – n’importe qui – finit par manifester son intérêt à devenir chef du Parti libéral du Québec (PLQ), ce n’est pas le rapport du Comité sur la relance du parti qui va le convaincre que ce sera une aventure tranquille.

Ses auteurs ont travaillé avec abnégation. Ils formulent plusieurs propositions concrètes. Mais ils illustrent surtout malgré eux à quel point la prochaine ou le prochain chef devra maintenir un équilibre quasi impossible à réaliser.

La mission : mieux protéger à la fois le français et la minorité anglophone ainsi que les droits fondamentaux. Philippe Couillard et Dominique Anglade se sont aventurés sur ce fil de fer avant de voir un gouffre s’ouvrir sous leurs pieds.

Pour l’instant, un seul candidat s’est manifesté : Fred Beauchemin, une recrue qui se démarque tant par son ambition que par sa maladresse.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Marc Tanguay et Fred Beauchemin

La présidente de la Commission-Jeunesse du Parti libéral du Québec, qui siège aussi à l’exécutif, a déposé une plainte pour harcèlement contre trois employés de M. Beauchemin. Ils auraient exercé des pressions pour que les règles de la course favorisent leur supérieur. Ce dernier ne serait pas intervenu pour mettre fin à la situation, ce qui lui vaut de faire lui aussi l’objet d’une plainte.

Le parti ainsi que l’Assemblée nationale examinent chacun de leur côté ces allégations. En attendant leur décision, M. Beauchemin a été suspendu du caucus.

Au lieu de se faire discret, il a jugé bon d’attaquer le parti dans son ensemble. M. Beauchemin y voit un « symptôme de la crise qui frappe le parti ». Il accuse la Commission-Jeunesse d’être « paralysée par l’absence de direction claire ». Voilà le meilleur rassembleur sur la ligne de départ.

Cette fin de semaine, les libéraux se réuniront à Drummondville. Ils définiront notamment les règles de la prochaine course.

M. Beauchemin est favorable à un déclenchement rapide. Ce scénario aurait pour principal mérite de l’avantager.

Le PLQ aurait plutôt intérêt à prendre son temps. Son meilleur espoir : que l’usure du pouvoir fragilise le gouvernement caquiste et que le retour du débat sur l’indépendance freine l’ascension péquiste. Juste assez pour convaincre une candidature externe – du milieu des affaires, des médias ou de la politique fédérale ou municipale – de tenter l’aventure.

Le comité sur la relance, copiloté par André Pratte et la députée Madwa-Nika Cadet, devait actualiser les valeurs libérales.

Ce mandat était délicat, d’autant qu’il précédait la course à la direction. Les auteurs ne devaient pas écrire la plateforme ni trop se compromettre dans les détails.

Ils visaient plus modestement à synthétiser l’avis des militants et à fournir des repères communs à partir desquels chaque candidat pourrait développer ses propres engagements.

Ils formulent quelques idées assez précises, comme rédiger une Constitution québécoise, adopter une loi sur l’interculturalisme, instaurer un revenu minimum pour les gens qui travaillent, étudient ou font du bénévolat, réformer la fiscalité pour inciter les personnes âgées à rester au boulot ou encore étendre la compétence du Québec à tous les programmes d’immigration pour travailleurs, y compris celui de la « mobilité internationale ».

Mais au-delà des détails, c’est le positionnement qui pose problème.

Le PQ doit en partie sa remontée à sa façon d’assumer sans complexe ses valeurs. La même recette avait contribué à la victoire de Justin Trudeau en 2015. Les militants voudraient que le PLQ insuffle à son tour plus de passion dans son discours.

Or, c’est ce que Philippe Couillard faisait. Il dénonçait avec une émotion sincère les idées péquistes et caquistes sur la laïcité ou l’immigration, et il en a payé le prix.

Les militants consultés par le comité reconnaissent aussi que des Québécois sentaient qu’on les « regardait de haut » au lieu d’essayer de comprendre leur « angoisse » identitaire. Or, Dominique Anglade s’en préoccupait. Elle a proposé plusieurs mesures concrètes afin de protéger le français. Une crise interne s’en est suivie, et elle a dû reculer.

Le comité lui-même incarne ce dilemme. D’un côté, il veut maintenir le poids démographique du Québec, ce qui implique d’augmenter l’immigration afin de suivre la cadence sans précédent du fédéral. Mais de l’autre, il suggère de charger des experts de vérifier notre capacité d’accueil, sans savoir si elle est déjà atteinte.

Pour l’avenir du français, le comité fait ce constat lucide : « L’accroissement du bilinguisme individuel des francophones normalise la présence de l’anglais dans l’espace public, accentue la demande pour les biens culturels anglophones et atténue les attentes de la population, surtout plus jeune, face à la conformité des entreprises et prestataires de services au cadre linguistique législatif et réglementaire en vigueur. »

Il veut donc protéger notre langue commune. Mais il promet à de multiples reprises de mieux défendre la minorité anglophone historique, en laissant entendre qu’elle est menacée.

Le rapport souligne que ce qu’on appelait autrefois « la machine libérale » a perdu de sa force. Le parti ne compte plus sur une organisation redoutable sur le terrain.

Les militants sont moins nombreux, et ils ont peut-être aussi changé de visage. Les sondages montrent que les francophones se détournent du PLQ. Si le prudent virage nationaliste proposé aiderait à faire mieux aux élections, il risque d’être nettement moins populaire à l’interne lors de la course à la direction.