La marionnette s’appelle Max. C’est un homme. Un homme noir. Max est laid comme un pou magnifié par un microscope. Voyez plutôt la photo qui accompagne cette chronique.

Max est laid, mais il connaît auprès du public jeunesse une jolie carrière dans les mains de son créateur, le comédien Franck Sylvestre. De 2009 au début 2023, Max a été la vedette de L’incroyable secret de Barbe Noire sans jamais être mêlé à une controverse quelconque.

Tout cela a changé le 24 février 2023 quand Max a été accusé de véhiculer des stéréotypes racistes à l’égard des Noirs, dans la même catégorie que le blackface.

Je souligne ici que Franck Sylvestre, le « papa » de Max, est lui-même noir. Ses racines sont martiniquaises.

C’est un organisme antiraciste, Coalition Rouge, qui a dénoncé Max la marionnette en février, après 14 ans d’existence sans anicroche.

Un de ses directeurs, Alain Babineau, afro-descendant, s’est déchaîné sur Twitter. Invitant Franck Sylvestre à larguer Max, il l’a aussi sommé de « changer de planète » tout en le traitant de « bon Noir », ces Noirs qui plaisent aux Blancs.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Alain Babineau, de la Coalition Rouge

Le même jour, Coalition Rouge a convoqué la presse1. M. Babineau semblait avoir pris un shooter de napalm2 tellement il avait le feu au derrière. Je le cite, à propos des journalistes qui posaient des questions : « Si on vous dit que c’est pas correct, that’s it ! Il n’y a pas de conversation à avoir […] Si vous êtes ici ce matin pour tenter de nous convaincre de ne rien dire, vous faites partie de la problématique. »

Le problème, c’est que la dénonciation de Coalition Rouge a suscité des questions et des conversations dans la communauté noire elle-même.

Sur Twitter, des voix afro-descendantes ont suggéré à M. Babineau de se calmer un peu les nerfs. Et dans La Presse, Murielle Chatelier y est allée d’une dénonciation sans réserve des propos de M. Babineau, l’assimilant à de la mauvaise foi3.

La controverse a fini par mourir de sa belle mort, M. Sylvestre ayant subi des annulations de spectacles pour la première fois de la carrière de ce pauvre Max.

Scrupules sincères des diffuseurs ou peur de se faire hurler dessus par M. Babineau…

Qui sait ?

Toujours est-il que Franck Sylvestre a annoncé mardi dernier qu’il avait envoyé une mise en demeure à M. Babineau, lui enjoignant de se rétracter pour ses propos4. Sans quoi il le poursuivrait en diffamation pour 25 000 $.

Cette saga que j’avais oubliée est intéressante à deux égards.

Un, sur les nouvelles frontières de la lutte contre le racisme, par exemple. La lutte pour l’égalité réelle des minorités n’est pas achevée. Mais une autre lutte a cours, qui touche davantage les symboles. On peut penser à l’utilisation du mot qui commence par un N, au blackface et à la représentation des minorités à la télévision, par exemple.

Dans la même veine : une marionnette noire actionnée par un artiste noir véhicule-t-elle des stéréotypes anti-noirs ?

N’en déplaise à Alain Babineau, la question mérite de faire l’objet d’un débat. On peut certainement poser des questions à ceux qui trouvent Max raciste, d’autant plus que dans la communauté noire, la marionnette n’est pas considérée comme raciste par tout le monde. Il y a différents points de vue là-dessus.

Deuxième aspect intéressant dans ce débat : au nom de qui parlent les différents groupes de pression, dans la société ?

Quand des syndicats parlent, oui, on peut se dire qu’ils parlent au nom de leurs (j’invente) 55 000 membres. Ou alors on peut penser qu’ils parlent au nom des 200 délégués du congrès annuel…

J’ai demandé à Coalition Rouge combien de membres payants (l’adhésion annuelle coûte 25 $) elle comptait.

Réponse : 55.

Ça ne veut pas dire que tout ce que dit la Coalition Rouge est dans le champ. Son fondateur, Joel DeBellefeuille, a par exemple souvent pris la parole pour dénoncer le profilage racial, en ayant lui-même été victime. Il a fait avancer le débat.

Mais la prise de position hystérique de son camarade Babineau à propos d’une marionnette pose la question de la crédibilité de son organisme. Les prises de position de M. Babineau, en février, donnent l’impression d’un homme qui était trop heureux d’avoir une occasion (futile) de déchirer sa chemise.

Quand tu combats un personnage noir en papier mâché créé par un homme noir comme si le KKK venait d’entrer au Parlement, il y a lieu de poser une question très, très plate : est-ce que tu mérites qu’on t’écoute quand tu prends la parole en public ?

Pour moi, la réponse est : non.

Quand M. Babineau prend la parole en public, je me rappelle soudainement que j’ai oublié de faire redémarrer la sécheuse.

Je ne sais pas si, advenant un procès, le marionnettiste Franck Sylvestre pourra prouver un dommage.

Je pense cependant qu’Alain Babineau devrait revisiter un conte et je ne parle pas de L’incroyable secret de Barbe Noire mettant en vedette la fameuse marionnette hideuse du nom de Max.

Je parle de ce vieux conte : L’enfant qui criait au loup.

Je laisse le soin à M. Babineau de déterminer à quel personnage du conte il ressemble.

1. Lisez une chronique de Mario Girard

2. J’ai emprunté cette métaphore à Yves Boisvert.

Lisez une chronique d’Yves Boisvert 3. Lisez une lettre d’opinion de Murielle Chatelier 4. Écoutez une entrevue de Franck Sylvestre au 98,5 FM