Si quelque chose est susceptible de miner la confiance du public, ce n’est pas le magasinage politique du candidat péquiste Pascal Paradis. C’est plutôt le mensonge. Car de toute évidence, quelqu’un ne dit pas la vérité. Pas toute la vérité, du moins.

Voici la version de M. Paradis, directeur d’Avocats sans frontières. Peu avant les élections de 2022, il aurait été approché par la CAQ. Il a rencontré Martin Koskinen, chef de cabinet de François Legault. M. Paradis lui aurait dit qu’il était souverainiste et social-démocrate et qu’il s’opposait au troisième lien. On lui aurait répondu que le tunnel sous-fluvial ne se construirait jamais et qu’il n’avait qu’à garder le silence à ce sujet durant la campagne. Un poste de ministre de la Capitale-Nationale lui aurait aussi été promis. Mais il a décliné l’offre, qui ne lui semblait pas assez fiable.

Voici maintenant la version de la CAQ. M. Paradis a bel et bien été considéré comme candidat dans Charlevoix–Côte-de-Beaupré. L’intérêt était mutuel. L’avocat était assez intéressé lui-même pour envoyer son CV. Il a rencontré la directrice du parti et M. Koskinen. Il avait toutefois des exigences gourmandes. Il réclamait un appartement payé avant et durant la campagne, en plus d’une garantie de devenir ministre. Ces deux conditions lui ont été refusées. Et jamais on ne lui a dit que le troisième lien serait abandonné.

Qui croire ? Impossible de trancher hors de tout doute. Mais chose certaine, les versions sont irréconciliables, et des détails sont plus crédibles que d’autres.

Quand le troisième lien a été largué, des députés influents comme Bernard Drainville étaient surpris et même troublés. Si c’était prévu, le secret était très bien gardé. Pourquoi M. Koskinen, un homme cartésien et prudent, aurait-il confié cette bombe à un relatif inconnu qui s’avouait souverainiste, et donc possiblement proche du PQ ? Et aurait-il vraiment promis un poste de ministre à M. Paradis ? Car même si son parcours comme juriste impressionne, il demeurait un politicien néophyte, il y avait congestion de candidats ministrables dans la Capitale-Nationale et le parti essayait d’abord de recruter des femmes.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Le premier ministre François Legault et son directeur de cabinet, Martin Koskinen, en 2018

D’un autre côté, le choix de M. Paradis comme responsable de la Capitale-Nationale n’aurait pas été illogique. Les relations s’annonçaient délicates avec le maire de Québec, Bruno Marchand. Or, ce dernier est un ami personnel de M. Paradis. La CAQ en aurait profité.

On n’aura jamais le verbatim de la rencontre entre MM. Koskinen et Paradis. Il est possible qu’elle ait été riche en sous-entendus, ce qui expliquerait leurs interprétations contradictoires.

Dans ce cas-ci, c’est la perception des électeurs qui compte. Le revirement au sujet du troisième lien routier fut si spectaculaire et inattendu que des gens cherchent encore une explication. Qu’elle soit vraie ou fausse, la version de M. Paradis pourrait donc être populaire.

Les conséquences politiques sont plus faciles à analyser.

Il s’agit de la première élection partielle depuis l’abandon du troisième lien, elle se déroule à Québec et elle survient alors que le PQ reprend des forces.

Le PQ se positionne comme un regroupement d’idéalistes qui se battent pour leurs convictions même quand elles sont impopulaires. Il prétend que la CAQ serait au contraire une coalition de gens attirés par le pouvoir.

C’est pourquoi les troupes de Paul St-Pierre Plamondon récupèrent énergiquement la mort du troisième lien routier : elles en font un symbole de l’opportunisme de la CAQ, qui a dit une chose en campagne pour faire le contraire après son élection.

C’est justement aussi pourquoi la CAQ a pris le risque de dévoiler ses échanges confidentiels avec M. Paradis. Elle voulait démontrer que l’opportunisme existe chez ses adversaires.

Et c’est enfin pourquoi le PQ, fidèle à sa nouvelle stratégie, fait du judo. Il récupère une nouvelle défavorable pour lancer une contre-attaque, quitte à jouer la victime.

Les péquistes prétendent avoir en leur possession des textos compromettants pour la CAQ, mais ne pas les relayer par respect pour la confidentialité. Ils laissent ainsi miroiter les pires soupçons sans preuve. C’est trop facile.

Reste qu’en coulant à nouveau ses échanges, la CAQ risque de miner la confiance de futures sources ou de candidats pressentis lors de la prochaine ronde de recrutement.

Si la CAQ et le PQ se battent à poings nus, c’est parce qu’ils sentent que cette élection constitue un tournant.

L’ascension vers le pouvoir de la CAQ avait commencé lors d’une élection partielle en 2017 dans Louis-Hébert. Elle ne veut pas que celle dans Jean-Talon marque le début de son lent déclin. Le scrutin où la population l’a assimilé aux autres vieux partis qui trahissent leur parole.

Pour le PQ, la campagne dans Jean-Talon est au contraire une occasion rêvée de se positionner comme l’adversaire principal du gouvernement. Le magasinage politique de M. Paradis est une nouvelle gênante qui se transforme en controverse avantageuse, car on présente désormais la partielle comme un affrontement PQ-CAQ.

Dans Jean-Talon, on ignore qui dit vrai, mais on sait à qui ces détours face à la vérité risquent de profiter.