Drake peut prendre un break, Beyoncé peut s’étouffer, The Weeknd prendre sa fin de semaine de congé, qu’est-ce que les Québécois écoutent, aujourd’hui ? Du québécois ! De Félix à FouKi. Tendez l’oreille où que vous soyez, ce sont des airs bleutés que vous entendrez.

C’est la chanson québécoise qui donne tout son sens à la fête nationale du Québec. Toute son existence.

Chacun de nous a dressé une liste de tounes kebs pour accompagner cette journée, du lever au coucher.

Il y a d’abord le classique, celui qui allume les feux de joie (contrôlés), l’incontournable Heureux d’un printemps de Paul Piché. Ironiquement, cette chanson dénonce le sort des moins nantis, qui ne peuvent pas faire le party : « Ç’a l’air que ça prend des sous pour faire la fête… » C’est l’histoire d’un gars marmotte qui sort de son trou, constate le printemps et retourne dedans, travailler, pendant que les riches profitent de l’été. C’est un plaidoyer contre les inégalités sociales. Pour le partage de la richesse. Ce dont l’auteur ne se doutait pas, c’est que pour faire la fête, pas besoin de gros sous, si t’as un bon p’tit riff de Paul Piché.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Paul Piché

Ce n’est pas la seule chanson dénonciatrice que l’on chante, le 24 juin, comme si c’était Agadou. Si, ce soir, on ne faisait que lire les textes de Dégénérations, de Mes Aïeux, Tassez-vous de d’là, des Colocs, En berne, des Cowboys Fringants, Le monde est à pleurer, de Leloup, et Tokébakicitte, de Jérôme 50, pour ne nommer que celles-là, la veillée serait pas mal plus déprimante. C’est la magie de la musique : crier ses blessures en dansant, au lieu d’en braillant. Ça fait sortir le méchant. Ça défoule, la foule.

Il n’y a pas que des airs thérapeutiques pour célébrer, il y a aussi les airs qui rendent fier. Le plus beau voyage, durant lequel Claude Gauthier raconte le chemin de sa vie. De nos vies. Il termine en lançant : « Je suis Québec mort ou vivant. » Tant qu’on l’écoutera encore, il ne sera pas Québec mort. Alors, allez l’écouter, je vous en prie.

Les gens de mon pays, de Vigneault, est une description poétique de notre communauté, qui donne le goût d’en faire partie : « Les gens de mon pays, ce sont gens de paroles, et gens de causerie, qui parlent pour s’entendre… » C’est l’éloge de notre langue et de nos sons. À l’invisible qui fait ce que nous sommes. Du génie.

Du même cerveau est sortie Gens du pays, chantée pour la première fois lors du spectacle de la Saint-Jean en 1975. Le prophète de Natashquan avait fait le pari d’offrir à sa patrie une solution de rechange au traditionnel Happy Birthday qui accompagne les gâteaux d’anniversaire de toute la planète. Fallait pas être gêné ! Pari réussi, on la chante toujours aujourd’hui. Tant que ce sera le tour des chers Noah, Emma, Mamadou ou Yüna, ce sera encore le tour du cher Québec.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Gilles Vigneault

Cette année, parmi toutes les chansons souvenirs des Saint-Jean du passé, il y en a une sur laquelle il faut s’arrêter : Québécois de La Révolution française, dont l’auteur François Guy vient de nous quitter. Le refrain est tout simple : « Québécois, nous sommes québécois. » Mais fallait oser le dire. Fallait oser le chanter. Fallait oser le faire sonner. Nous donner le goût de l’entonner. Nous donner le goût de dire « nous ».

Les couplets sont un peu marqués par l’usure du temps. Avec nos Expos disparus, deux fois plutôt qu’une. En hommage à François Guy, cette chanson mériterait que des créateurs la rénovent. La réactualisent. Voir comment le Québec d’aujourd’hui se projette dans l’avenir. Et faire chanter « Nous sommes québécois » à tous les « nous » de notre diversité.

Et pendant qu’on passe nos commandes, ça prendrait plus de chansons qui donnent le goût d’être ensemble. Qui donnent le goût de faire quelque chose de grand, ensemble.

L’œuvre de Stéphane Venne en est un bel exemple. Ce serait bien d’être au début d’un nouveau temps nouveau.

Autrices, auteurs, compositrices, compositeurs, interprètes, vous ne savez pas à quel point on a besoin de vous, pour nous donner le goût d’être nous.

Encore faut-il vous écouter, je sais. Après-demain, on aura déjà coupé de moitié, ou même des trois quarts, notre bouquet de chansons québécoises. La musique est un langage universel qui rejoint tout le monde. C’est bien. C’est sain. On ne peut pas empêcher un cœur d’aimer Taylor, Harry ou Adele. Mais on peut aider les artistes d’ici à se déployer, à s’épanouir, à se diffuser. On n’aimait pas Harmonium et Beau Dommage parce que leur musique nous était imposée, on aimait Harmonium et Beau Dommage parce que leur musique venait nous chercher.

Le Québec est huit millions de chansons, bientôt neuf. Elles ont chacune leur style, leur flot, leur tempo, leur propos. Elles chantent pour se faire entendre. Qu’elles chantent aussi pour se comprendre.

Joyeuse fête nationale, mon beau Québec !

Et comme le rocke Marjo : « Lâche pas ! Attends pas de crever ! »