Aucun premier ministre n’a autant utilisé l’expression « nation québécoise » que François Legault.

Quand le libéral Robert Bourassa voulait évoquer solennellement la nation, il y a 35 ans, il parlait de « société distincte », version pudibonde de la nation. Car la société distincte voulait dépasser la banalité juridique de la « province », mais en portant le plus de vêtements possible, de peur qu’on lui voie les fesses constitutionnelles.

Les premiers ministres péquistes, eux, parlaient du Québec tout court, entité nationale sans doute, mais pays en devenir, dans l’antichambre de l’ONU.

Dans un revirement spectaculaire qu’on doit aux conservateurs, le gouvernement fédéral a reconnu officiellement la « nation » québécoise, expression jugée quasi sécessionniste une génération plus tôt.

Quand François Legault parle de la « nation québécoise » en 2023, ce n’est donc pas l’ancien indépendantiste qui se fait jour. C’est l’héritier de la tradition du nationalisme canadien-français, qui puise aux mêmes sources que la société distincte de Bourassa, l’affirmation nationale de Pierre Marc Johnson, le « beau risque » de René Lévesque, la Révolution tranquille de Jean Lesage, l’autonomie provinciale de Maurice Duplessis.

Je veux dire par là l’expression forte d’une identité nationale, mais sans rupture du lien fédéral canadien.

Le plus récent sondage Léger (13 juin) nous montre que la majorité des électeurs caquistes ne sont pas souverainistes. Quand on leur demande ce qu’ils voteraient si un référendum sur la souveraineté avait lieu aujourd’hui, ils répondent « non » à 50 % et « oui » à 39 %. La CAQ est vraiment cela : une coalition. François Legault réussit à la satisfaire en se tenant en équilibre sur ce point de ralliement : la nation québécoise.

La question nationale n’est pas le seul facteur de choix politique, évidemment. Les attaques à l’intégrité du gouvernement libéral ont contribué à sa perte. La crédibilité économique du gouvernement Legault, béni par une période de plein emploi, est peut-être plus importante encore.

Mais s’il y a une leçon que les libéraux sont en train d’apprendre, c’est qu’on ne peut pas aspirer à gouverner durablement le Québec en faisant comme si la « question nationale » était réglée, ringarde, dépassée.

C’est un peu ce qu’a fait le gouvernement de Philippe Couillard : la souveraineté était à son plus bas, c’était un vieux truc de baby-boomers, on n’avait donc plus à s’inquiéter d’identité nationale, de langue, etc. On pouvait parler enfin des « vraies affaires ». La question linguistique est un enjeu existentiel, par définition impossible à « régler ».

L’erreur de Philippe Couillard est d’avoir cru que l’effondrement du souverainisme équivalait à la mise au rancart du nationalisme – sauf la tentative de Jean-Marc Fournier de définir le fédéralisme nationaliste. Ce parti n’arrive plus à se relever de ces années de déni et cherche encore à définir son nationalisme. Qui n’est pas le nationalisme identitaire de la CAQ, ni le souverainisme néoconservateur du PQ…

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

L’ex-premier ministre du Québec Philippe Couillard

Le cas de Québec solidaire est intéressant. Le Parti québécois lui reproche de ne pas être « vraiment » souverainiste, et ce n’est pas tout à fait faux, même si c’est la position officielle du parti. Le même sondage Léger indique que seulement 35 % des électeurs de QS s’identifient comme souverainistes, contre 55 % qui voteraient « non ». Mieux vaut ne pas trop appuyer sur cette portion du programme, qui n’est clairement pas le moteur électoral… D’autant que ce parti est numéro 1 chez les 18-34 ans (par plus de 20 points), tranche d’âge où la souveraineté est la moins populaire (28 % de « oui »).

J’ai déjà écrit ici que je me rallie à la vision « bouchardienne », exprimée entre autres dans le rapport Bouchard-Taylor et dans les écrits de Gérard Bouchard. Sorte de juste milieu progressiste qui puise aux sources historiques du Québec, mais qui métisse ses mythes en faisant une place aux Premières Nations et aux minorités. Une nation qui se réinvente, tournée vers l’avenir, en somme, au lieu de cultiver un Québec nostalgique, craintif du monde à venir – et du monde qui s’en vient ici.

Je ne suis pas bien sûr que ce soit la vision nationale de François Legault. Mais il a compris ceci, profondément, et il a raison : on ne peut pas prétendre gouverner le Québec en ignorant la question nationale.