Les histoires d’agressions sexuelles dans des écoles se suivent et se ressemblent depuis quelque temps. Mais pire que les histoires que l’on raconte, ce sont celles, beaucoup plus nombreuses, que l’on ne raconte pas.

Pour un scandale qui se fraie un chemin dans les médias, combien d’histoires cachées ? Combien de prédateurs qui ne font que changer d’école comme des prêtres changeaient autrefois de paroisse ? Combien de cas où « tout le monde savait », mais « personne n’a rien fait » ? Combien de jeunes vies brisées ?

Voilà plus de cinq ans que le collectif La voix des jeunes compte réclame du gouvernement qu’il agisse pour mieux protéger les élèves du préscolaire au secondaire contre les violences sexuelles. Voilà plus de cinq ans qu’il a l’impression, en dépit des promesses, que sa voix ne compte pas vraiment. Lorsqu’on réclame une loi-cadre et qu’on vous répond en mettant en place une boîte vocale, il y a lieu de croire que ce n’est malheureusement pas juste une impression1.

1. Lisez « 1 833 N’IMPORTE QUOI »

Avec le projet de loi transpartisan que vient de déposer la députée solidaire Ruba Ghazal, avec l’appui de sa collègue libérale Marwah Rizqy et de la porte-parole péquiste Méganne Perry Mélançon, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a une belle occasion d’honorer la promesse faite à ces jeunes dans la foulée de #moiaussi par les élus – y compris par l’ex-ministre de l’Éducation Jean-François Roberge.

Rappelons que le 9 mars 2021, Catherine Fournier, à l’époque députée de Marie-Victorin, a fait adopter à l’unanimité une motion à l’Assemblée nationale pour que la voix des jeunes soit entendue et que le Québec se dote d’une loi pour lutter contre les violences sexuelles dans les écoles primaires et secondaires comme c’est le cas dans les cégeps et les universités.

La motion soulignait que Jean-François Roberge avait lui-même réitéré à plusieurs reprises lors de l’étude du projet de loi-cadre visant les établissements postsecondaires, qui avait été proposé par la ministre libérale Hélène David en 2017, l’importance de se doter d’une loi équivalente pour les écoles primaires et secondaires.

En octobre 2021, la députée solidaire Christine Labrie, accompagnée de membres du collectif La voix des jeunes compte, a déposé un premier projet de loi-cadre pour lutter contre les violences sexuelles dans les écoles. Le projet est mort au feuilleton lors du déclenchement des élections. Mais c’est bien mal connaître les jeunes du collectif que de penser que leur ténacité allait mourir en même temps.

Les voilà donc de retour pour une deuxième manche alors que le projet de loi 397 vient d’être déposé.

Des violences sexuelles, il y en a toujours eu. Il y en a eu dans les églises. Et c’était traité de la même façon qu’aujourd’hui dans les écoles. Il n’y a aucun changement. À un moment donné, il va falloir que quelqu’un agisse. C’est la responsabilité du gouvernement actuel.

Clorianne Augustin, co-coordonnatrice du collectif La voix des jeunes compte

Ruba Ghazal a été plus qu’impressionnée par le sérieux et la détermination du collectif, composé majoritairement de jeunes femmes racisées, qui talonnent sans relâche le gouvernement depuis 2017. Elles rédigent des mémoires et des recommandations, multiplient les témoignages et les lettres ouvertes, convoquent des points de presse, mettent les élus devant leurs contradictions. « Elles sont incroyables. »

Le projet de loi 397, inspiré de leur courage, vise à rendre obligatoire l’adoption d’une politique pour prévenir et combattre les violences sexuelles du préscolaire au secondaire. Il permettrait notamment de clarifier le processus de plainte, mais aussi de mettre en place des moyens de prévention, de sensibilisation et d’accompagnement.

Il est bien sûr illusoire de penser qu’une loi viendrait tout régler d’un coup de baguette magique. Mais c’est une étape importante.

La loi ne peut pas à elle seule changer une culture du silence et de l’impunité. Mais elle peut créer les conditions favorables pour qu’émerge une nouvelle culture, estime Suzanne Zaccour, responsable de la réforme féministe du droit à l’Association nationale Femmes et Droit.

« La prévention est vraiment l’élément le plus important et le plus intéressant de cette loi-cadre », croit la juriste, autrice de La fabrique du viol (Leméac), qui fait un doctorat en droit à l’Université d’Oxford.

Suzanne Zaccour a elle-même été appelée à offrir des formations à des cégépiens dans la foulée de la loi-cadre visant les établissements postsecondaires. Après les séances, il lui arrive de recevoir des témoignages de jeunes qui lui confient avoir réalisé en l’écoutant qu’ils ont vécu une agression sexuelle ou qu’ils ont commis des agressions sexuelles. « Quand quelqu’un au cégep dit ça, c’est trop tard ! »

Au-delà de cette loi-cadre, pour lutter efficacement contre les violences sexuelles et éviter que des prédateurs changent d’école et fassent de nouvelles victimes, il faudra aussi modifier la loi pour que les clauses d’amnistie contenues dans des conventions collectives ne puissent plus permettre d’effacer les infractions de nature sexuelle des dossiers disciplinaires du personnel.

Pressée par les oppositions libérale et solidaire de légiférer en ce sens, la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, s’est montrée ouverte à l’idée, bien qu’elle privilégie actuellement la voie de la négociation. La députée Marwah Rizqy a fait la même demande au ministre Bernard Drainville.

Si on veut protéger les jeunes et non les prédateurs, il serait plus que temps que des clauses permettant d’effacer impunément ce qui ne s’efface jamais dans la vie d’une personne victime soient abolies.

En savoir plus
  • 62 %
    Proportion de toutes les victimes d’infractions sexuelles enregistrées par la police qui ont moins de 18 ans
    Source : INSPQ
  • 1 femme sur 9 et 1 homme sur 20
    Au Québec, proportion des gens qui ont déclaré avoir subi une agression sexuelle par une personne adulte avant l’âge de 15 ans :
    Source : INSPQ