Rétablir l’« imputabilité ». Voilà une des grandes promesses de la réforme caquiste du système de santé.

Le ministre Christian Dubé veut ramener les décisions sur le plancher. En contrepartie, les dirigeants devraient rendre des comptes. Le siège deviendrait éjectable. Du moins, c’est la théorie.

J’ai passé la semaine dernière à parler avec des experts en administration de la santé, et ils demandent encore à être convaincus. L’idée ne leur semble pas mauvaise, mais ils doutent de son impact.

La source de leur scepticisme, en format condensé : on ne peut pas être tenu responsable de ce qu’on ne contrôle pas, et même si on congédie un dirigeant, cela ne fera pas forcément disparaître les problèmes.

Voici maintenant la version longue.

Quand un scandale se passe dans un hôpital, il rebondit à la période des questions, et le ministre est blâmé pour un évènement dont il vient à peine de prendre connaissance.

Il cherche alors à faire un geste rapide qui calmera ses critiques. Ce phénomène aggrave la centralisation du système de santé, avec des décisions qui sont d’abord évaluées selon leur utilité politique.

Cela frustre les ministres de la Santé et ça n’aide pas beaucoup les patients non plus.

Pour y remédier, M. Dubé promet deux changements.

Le premier : séparer le politique des opérations en créant Santé Québec, une nouvelle société d’État. Le ministre dicterait les grands objectifs, et cette agence les mettrait en application.

C’est ce qui existe en Alberta, en Ontario et en Nouvelle-Écosse, notamment.

Un dirigeant local dans chaque « installation », comme un hôpital. Ce virage avait déjà commencé durant la pandémie, avec le retour d’un responsable dans chaque CHSLD.

L’autre promesse de M. Dubé, c’est de rendre ces dirigeants « imputables ». Selon lui, cela décentralisera le réseau. Or, la décision de démettre un dirigeant viendrait encore du ministre lui-même ou de l’agence. C’est une responsabilisation verticale, qui descend du sommet.

Plusieurs questions demeurent.

D’abord, un dirigeant d’hôpital ou de CHSLD aura-t-il les moyens d’obtenir les résultats souhaités ? À l’heure actuelle, les CISSS ou CIUSSS ont des divisions responsables des différents secteurs, comme les urgences et les soins à domicile. Avec la réforme Dubé, les CISSS ou CIUSS deviendraient des agences territoriales de la société d’État. Mais même si un CIUSSS devient Santé-Estrie, l’essentiel de la structure actuelle du réseau demeurera. Par exemple, le directeur d’un hôpital de Sherbrooke n’aura pas le plein contrôle des urgences chez lui.

Au-dessus de sa tête, les fils se croiseront encore dans la toile d’araignée de l’organigramme.

Avant les réformes Couillard et Barrette, chaque hôpital avait son conseil d’administration et son budget. Il en était le seul responsable. Ce n’est plus le cas. Dans le projet de loi, le pouvoir du dirigeant local n’est pas clairement défini.

Autre interrogation : les données. Le système de santé est réputé pour la pauvreté de ses données. M. Dubé essaie de son mieux de les rendre plus précises et transparentes – il publie notamment un tableau de bord sur le site du Ministère. Mais pour l’instant, il est encore difficile de mesurer comment un hôpital ou un CHSLD soigne les patients. Et sans données fiables, on ne peut pas évaluer la performance d’un dirigeant pour le rendre responsable.

Même si un ministre obtient la tête d’un dirigeant, est-ce que les patients s’en porteront mieux ? Difficile à dire. Pour le ministre, toutefois, c’est un gain indéniable.

Prenons l’exemple de la Société de l’assurance automobile du Québec. Après la gestion chaotique du système SAAQclic, son PDG Denis Marsolais a été limogé. Certes, il mérite l’essentiel du blâme. Reste qu’il avait tout de même prévenu le gouvernement en novembre que les bureaux fermeraient durant trois semaines lors du transfert de plateforme. À l’époque, les caquistes n’y voyaient rien de mal. Dans ce cas, l’« imputabilité » du dirigeant rimait aussi avec « immunité politique ».

Une autre forme de responsabilisation existe, plus communautaire que verticale. Elle consiste à laisser les administrateurs locaux décider de l’avenir des dirigeants. C’est ce qui prévalait dans les années 1990.

Cela dit, ces conseils d’administration s’attiraient souvent des critiques. Et quand une crise survient, les politiciens préfèrent avoir le doigt sur le bouton qui éjecte le siège.

Pour l’« imputabilité » des médecins, la réforme Dubé est plus prometteuse.

En 1970, les médecins s’opposaient à la création d’un régime public. Pour les rallier, on leur a offert le statut de travailleur autonome. Ils gèrent leur horaire comme ils le souhaitent, en choisissant leur profil de patients. Même si la vaste majorité travaille avec dévotion, une petite minorité demeure insoumise.

M. Dubé veut instaurer une « responsabilité populationnelle » pour que les médecins se partagent plus équitablement la tâche et que leur organisation du travail se fasse en fonction des besoins des patients.

C’est une bonne idée, appuyée par le Collège des médecins. Et s’il y avait plus de médecins, ça aiderait bien sûr, d’autant plus qu’une vague de retraites approche.

Comment renforcer l’équité tout en incitant les médecins plus âgés à rester au travail ? C’est à cela que serviront les consultations à venir.

Chose certaine, pomper plus d’argent dans le système ne suffira pas. L’organisation du travail doit changer.

Les experts à qui j’ai parlé conviennent que l’« imputabilité » ne réside pas seulement dans les structures et l’organigramme. Elle s’inscrit d’abord dans une culture. Pour la changer, tout le monde devra ramer dans la même direction. C’est aussi à cela que doit servir la consultation à venir du projet de loi de M. Dubé.

Sa colossale réforme requiert une étude patiente et minutieuse. Car même les experts de bonne foi demandent encore à être convaincus.