C’est Donald Trump qui a comparu mardi devant une cour pénale de Manhattan, mais sur la chaîne Fox News, une heure avant l’arrivée de l’ex-président américain au tribunal, c’est une autre personne qui était au banc des accusés : le procureur de Manhattan, Alvin Bragg.

« Plus personne n’est en sécurité à New York depuis qu’Alvin Bragg est procureur », a dit l’animatrice de l’émission Outnumbered, Harris Faulkner. Les rues de la mégapole américaine font peur, a-t-elle ajouté, affirmant que M. Bragg, premier Noir élu à ce poste, allège les accusations « contre les tueurs » tout en « aggravant » celles portées contre Donald Trump.

« C’est la gauche bolchévique qui a pris le contrôle de la justice à New York », a ajouté quelques secondes plus tard Andy McCarthy, ancien procureur adjoint dans le sud de l’État de New York, invité à la même émission pour commenter les évènements de la journée.

« Oui, ça rappelle le régime de Staline. Vous savez qui vous voulez mettre en prison et vous inventez des accusations pour le faire », a renchéri Mollie Hemingway, rédactrice en chef du magazine conservateur The Federalist.

Un procès d’intention du procureur en bonne et due forme.

Ces attaques répétées ont toutes été proférées avant même que Donald Trump devienne le premier ex-président américain à être accusé formellement devant une cour criminelle. Avant qu’il plaide non coupable à 34 chefs d’accusation. Avant qu’on apprenne de quoi il est accusé, soit « d’avoir frauduleusement et à répétition falsifié des documents d’affaires de New York afin de dissimuler un comportement criminel pour cacher aux électeurs des informations dommageables pendant l’élection présidentielle de 2016 », peut-on lire dans l’énoncé des faits qui accompagne l’acte d’accusation1.

Dans ce même énoncé, le Bureau du procureur affirme que Donald Trump, le candidat à la présidence, aurait maquillé des paiements qui auraient servi à acheter le silence de l’ancien portier de la Trump Tower, de l’actrice porno Stormy Daniels et de la mannequin Karen McDougal afin que des informations scabreuses à son sujet ne fassent pas d’ombre à sa campagne pour le bureau Ovale. Et le tout, planifié en amont avec l’avocat Michael Cohen et le patron d’une entreprise médiatique. Un complot, quoi !

Ces informations émanant d’une longue enquête, les fidèles de Donald Trump en font à peine mention. Dans leur monde, nourri par Fox News et d’autres médias encore plus conservateurs et complotistes, Donald Trump est la victime. Le chassé. Le persécuté. Le héros qu’on tente d’abattre.

Mardi, l’élue républicaine Marjorie Taylor Greene a poussé la note jusqu’à comparer les déboires de Donald Trump avec la justice à l’arrestation et l’emprisonnement de Nelson Mandela par le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud ainsi qu’à l’exécution de Jésus par « le gouvernement romain » ! Rien de moins.

« Dans le passé, des êtres extraordinaires ont été arrêtés par des gouvernements corrompus et radicaux. Ça se passe aujourd’hui à New York ! », a-t-elle dit le plus sérieusement du monde lors d’une entrevue télévisuelle avec la chaîne de droite Right Side Broadcasting Network (RSBN). Le journaliste a opiné du bonnet.

Ces énoncés surréalistes émanant du camp Trump n’ont rien de bien nouveau ni d’exceptionnel, pensez-vous en lisant ces lignes. Vous avez raison, mais ce qui était fascinant mardi, c’était de voir comment le Bureau du procureur a tenté de s’adapter à ce monde parallèle.

Lorsque Donald Trump s’est rendu à la justice en après-midi, il n’a été soumis ni aux menottes ni à la photo judiciaire – la fameuse mugshot – d’usage. Il n’a pas été envoyé en cellule non plus en attendant sa comparution. Le processus, commenté seconde par seconde par les journalistes des grandes chaînes américaines, a été plus que sobre.

Ces exceptions à la règle démontrent que même si ce processus judiciaire tente de démontrer que personne n’est au-dessus de la loi, tous les citoyens ne sont pas égaux devant cette même loi.

Cela dit, on comprend le Bureau du procureur de Manhattan de n’avoir pas voulu faire de Donald Trump un martyr enchaîné à pavaner devant les caméras.

Depuis le début de la procédure contre lui, Donald Trump n’a pas manqué une occasion de transformer en or ce qui, en principe, devrait lui porter préjudice. Les millions s’accumulent dans sa caisse électorale depuis qu’il a prédit sa propre arrestation, le mois dernier. Sa cote de popularité auprès des électeurs républicains a fait des bonds de géant depuis.

Alvin Bragg et son équipe, qui se lancent dans une bataille judiciaire sans précédent, savent bien que tous les terrains sont minés quand un homme qu’on accuse de corruption a, aux yeux de 30 % des électeurs du pays, un statut de saint auréolé.

1. Lisez l’exposé de faits (en anglais)