Ainsi, Carey Price ne savait pas pour Polytechnique. C’est ce que France Margaret Bélanger, présidente Sports et divertissement du Groupe CH, a déclaré à Radio-Canada. Non, il n’en avait jamais entendu parler, jamais au grand jamais. On parle pourtant d’un gars qui vit à Montréal plusieurs mois par année depuis plus de 15 ans.

Si on avait besoin d’une preuve supplémentaire que certains joueurs de hockey vivent déconnectés de leur société d’accueil, celle-ci efface tous les doutes. L’ignorance de cet évènement effroyable, qui fait partie de l’histoire canadienne et qui a marqué à jamais nos consciences, en dit malheureusement long sur le niveau d’insularité dans lequel certains athlètes professionnels évoluent (ce n’est certes pas le cas de la grande majorité de ceux que j’ai côtoyés dans ma carrière).

Faut-il s’en étonner ? Pas vraiment, j’imagine. Et sans vouloir m’acharner sur Price, qui a mis les pieds dans un engrenage dont il ne soupçonnait pas les pièges en dénonçant un projet de loi sur le contrôle des armes à feu, je note qu’il n’a accompli aucun effort pour apprendre un minimum de français depuis son arrivée à Montréal. Cela illustre malheureusement un manque de curiosité à propos du milieu où il gagne sa vie.

Dans ce contexte, doit-on se surprendre que la commémoration annuelle du 6 décembre 1989 lui ait toujours échappé ?

Price aurait dû faire un minimum de recherche avant de sauter à pieds joints dans ce dossier. Il aurait pu, à tout le moins, prévenir le Canadien de sa sortie. On peut alors penser que des membres de la direction l’auraient mis en garde.

D’autant plus que l’organisme soutenu par Price, la Coalition canadienne pour les droits aux armes à feu, a commis un geste aussi violent que répugnant en offrant un rabais lié au code promotionnel « Poly » à l’achat de certains produits.

Agir ainsi lève le cœur.

« C’est odieux », a déclaré Nathalie Provost, survivante de Polytechnique, à ma collègue Mélanie Marquis. « Il y a quelque chose d’un petit peu sacré autour de ça, on ne peut donc pas banaliser ce qu’ils font. »

Si les patrons du Canadien ont un peu de cran, ils traduiront l’article de ma collègue et les propos de Nathalie Provost pour que Price puisse les lire.

Il n’était pas au courant des évènements du 6-Décembre ? Il ignorait tout de la signification profonde du code promotionnel ou même des initiatives marketing du groupe qu’il soutient ? OK, c’est triste, mais c’est comme ça. Sauf qu’il n’est pas trop tard pour apprendre. Il n’est pas trop tard pour lire, pour s’informer, pour parler avec des gens qui en ont souffert. Informe-toi, Carey, informe-toi.

Peut-être a-t-il déjà commencé. En début de soirée lundi, dans un court message sur Twitter, il a écrit qu’il n’était pas d’accord avec le « code promotionnel ». Et que s’il croyait à la défense des droits des chasseurs, il ne voulait pas manquer de respect envers qui que ce soit en prenant position dans ce dossier.

J’ai toujours apprécié les athlètes qui s’expriment sur des enjeux de société. Il leur faut beaucoup de courage puisqu’ils risquent de déplaire à une bonne partie de leurs fans. Ce n’est pas un phénomène récent, lié à l’intense clivage du débat public. Cela a toujours été vrai.

Un exemple : durant la campagne électorale de 1952 au Québec, Maurice Richard a participé à un rassemblement en compagnie de Maurice Duplessis, qui fut réélu peu après.

Cette décision lui fut reprochée par un journaliste. Il rétorqua dans sa chronique de l’hebdomadaire Samedi-Dimanche : « Une fois la saison de hockey terminée, je deviens un citoyen du Québec comme n’importe qui et je crois bien avoir droit à mes opinions personnelles en politique comme ailleurs sans pour cela me faire mésestimer. »

Malgré cette déclaration combative, le Rocket garda ensuite son avis pour lui. Quarante ans plus tard, Guy Lafleur se trouva aussi empêtré dans une controverse en s’immisçant dans le débat sur le référendum de Charlottetown. Secoué, il prit alors sa « retraite » de la politique en déclarant : « Ça joue pas mal plus dur là-dedans qu’au hockey. Les poignards volent bas. »

Price découvre à son tour les risques pour un athlète de défendre un dossier loin de faire l’unanimité. Je lui reconnais entièrement le droit de soutenir une cause à laquelle il croit – dans ce cas, l’utilisation de ses « outils de chasse », c’est-à-dire des armes à feu –, mais encore faut-il qu’il le fasse de manière informée.

Après tout, il ne serait jamais venu à l’idée de Price de disputer un match sans d’abord se préparer adéquatement. Le même raisonnement s’applique à la prise de parole publique.

Or, selon une porte-parole du ministre fédéral de la Sécurité publique, Marco Mendicino, l’arme que Price tient sur la photo de son compte Instagram ne serait pas interdite par le projet de loi C-21. « Notre législation ne cible pas les armes à feu couramment utilisées pour la chasse, et nous respectons entièrement les traditions des chasseurs et des peuples autochtones », a-t-elle expliqué.

Le Canadien se retrouve bien malgré lui dans l’embarras à la suite de la sortie de Price. C’est aujourd’hui le 6 décembre et la journée sera encore une fois pénible en souvenirs.

Il faut rappeler avec insistance ce qui est survenu ce jour-là.

Il faut rappeler que 14 jeunes femmes ont été assassinées parce qu’elles étaient des femmes.

Il faut le rappeler année après année.

Il faut le rappeler pour s’assurer que personne, même les athlètes prisonniers de leur bulle, n’en ignore toute l’horreur.