Contrairement à ce que le gouvernement fédéral essayait de nous faire croire encore cette semaine, quand le gouvernement du Québec défend ses champs de compétence, ce n’est pas un « combat de coqs », ce n’est pas « futile » ⁠1 et ce n’est pas uniquement une question de principe.

C’est une bataille essentielle pour les patients du Québec, des patients qui ne sont pas comme les autres. Explications.

Tout d’abord, il faut dire que ce que le fédéral veut obtenir en échange de son (notre) argent n’est pas très précis. Il a affirmé tour à tour vouloir colliger des données, déterminer des priorités, établir des normes pancanadiennes et investir en fonction de ces normes, mais le détail de son engagement est inconnu.

Ces exigences seraient défendables si la santé des Canadiens était la même dans toutes les provinces et si ces mêmes provinces avaient une organisation de services similaire. C’est loin d’être le cas.

Dans les paragraphes qui suivent, je décrirai certaines différences québécoises recensées dans nos principaux médias. Ce n’est pas une liste exhaustive, mais elle est assez imposante pour vous permettre de constater que la différence québécoise enlève toute pertinence à des normes ou à des priorités pancanadiennes.

L’état de santé et l’organisation des services

Le Québec a la population la plus âgée et la population qui vieillit le plus rapidement au Canada. Le Québec est, avec la Colombie-Britannique, la province la moins touchée par l’obésité. En temps normal, les cas de grippe sont toujours plus élevés au Québec que dans le reste du Canada. En 2018-2019, le nombre de cas au Québec était le triple qu’en Ontario. Les CLSC sont les seuls établissements de première ligne au Canada à avoir une double mission sociale et sanitaire ; c’est toute notre première ligne qui est différente. Les Québécois sont plus minces qu’ailleurs, mais ils ont été longtemps les plus grands fumeurs et les plus grands buveurs, ce qui laisse des traces.

Les futures normes nationales canadiennes seront-elles basées sur les données de santé des Canadiens ou sur celles des Québécois ? Seront-elles adaptées à notre organisation de services ou à la leur ? Les fonds seront-ils distribués par habitant, ce que l’Ontario exigera, ou selon l’âge de la population, ce que le Québec demande ?

Prenons la pandémie comme autre exemple.

Les Québécois avaient moins peur de contracter le virus, vivaient moins de stress en sortant de la maison, étaient plus optimistes, estimaient plus positivement leur état de santé mentale et étaient plus satisfaits de leur gouvernement que les autres Canadiens. Les Québécois étaient également ceux qui voulaient le plus se faire vacciner, ils étaient les champions de la distanciation physique, ils allaient moins au travail, moins dans les épiceries et moins dans les parcs que les autres Canadiens.

Distanciation physique, sauf à Noël… En 2020, 43 % des Canadiens (50 % des Ontariens) affirmaient qu’ils ne se réuniraient pas avec des gens de l’extérieur de leur ménage pour Noël. Au Québec, c’était 14 %. Pour le temps des Fêtes de 2021, les Québécois étaient plus nombreux à compter recommencer à fréquenter les centres commerciaux et moins nombreux à prévoir prendre l’avion que les autres Canadiens.

La différence dans l’attitude des Québécois exigeait des actions gouvernementales différentes qu’ailleurs au Canada.

Les normes, les investissements, les priorités pancanadiennes auxquels pense le gouvernement fédéral, et qui serviraient à se préparer à la prochaine pandémie, seront-ils basés sur notre réalité sociologique ou sur celle des autres Canadiens ?

Chez nous, la situation dans les CHSLD a été dramatique. Au Canada, de tous les aînés qui vivent en CHSLD, la moitié sont au Québec. Nos enjeux de ressources humaines n’étaient pas les mêmes non plus. La crise a aussi mis en lumière des enjeux de gouvernance entre les CISSS, un modèle particulier au Canada, et les résidences pour personnes âgées. Finalement, à la sortie de la crise, le Québec a malgré tout un taux de mortalité supplémentaire qui est parmi les plus bas au pays⁠2.

Quand le gouvernement fédéral adoptera des normes, investira ou déterminera des priorités, le fera-t-il en fonction de la réalité des aînés du Québec ou de la réalité de ceux du reste du Canada ?

Je vous donne un dernier échantillon de nos différences pour démontrer l’inutilité, sinon l’extrême complexité, d’établir des objectifs pancanadiens.

Le Québec est la seule province à avoir un programme d’assurance médicaments. C’est au Québec qu’il se consomme le moins de cannabis. La pilule abortive est moins utilisée au Québec qu’ailleurs au pays et 8 % des IVG ont été réalisées de cette façon ici, alors que le taux est de 31 % en Ontario et de 50 % en Colombie-Britannique. C’est l’endroit en Amérique du Nord qui compte le plus de psychologues par habitant. Il en a autant que dans tout le reste du Canada. Le Québec a le plus faible taux de mortalité périnatale et néonatale au Canada. Au Québec, seul un pharmacien peut être propriétaire d’une pharmacie, une situation unique. Etc. Etc. Etc.

Notre style de vie n’est pas le même, notre état de santé n’est pas le même non plus et, depuis Marguerite Bourgeoys, nous avons notre propre modèle de gestion de la santé.

Nous ne sommes ni meilleurs ni pires que les autres Canadiens, nous sommes simplement différents.

Au lieu de réduire de moitié sa part de financement de la santé comme il l’a fait depuis des années, le gouvernement fédéral devrait donc nous ficher la paix avec ses normes et ses priorités, respecter le champ d’action des provinces, leur transférer une juste part de son (notre) argent, sans conditions, et les laisser gérer leur réalité.

Une petite dernière : les Québécois ont la meilleure espérance de vie en Amérique du Nord, une espérance de vie qui s’améliore chez nous et qui se détériore au Canada anglais⁠3. Quand on se compare, on peut se consoler.

Précision :
Quelques lecteurs m’ont souligné qu’il aurait été plus exact d’utiliser Jeanne Mance (surtout santé) que Marguerite Bourgeoys (surtout éducation) pour illustrer le fait que nous avons notre propre système de santé depuis la Nouvelle-France. Ils ont raison et je les en remercie.

1. Lisez l’article du Journal de Montréal « Transferts d’argent en santé : un débat “ futile » selon Ottawa » 2. Lisez « La cinquième vague se fait sentir » 3. Lisez l’article du Devoir « L’espérance de vie au Québec a remonté en 2021 »