On a beaucoup parlé de l’âge et du genre des nouvelles mairesses et des nouveaux maires élus lors des dernières élections municipales. On a aussi parlé de leurs préoccupations environnementales, mais il y a un autre sujet où elles et ils se distinguent : la participation citoyenne.

Les mairesses Fournier à Longueuil et Beaudin à Sherbrooke sont déjà en train de donner à leur population de nouveaux outils de participation citoyenne, outils qui, jusqu’à ce printemps, n’existaient pas en dehors de Montréal.

Dans le monde municipal traditionnel, il y a toujours eu de la résistance à l’idée de consulter les citoyens. La phrase « On est payés pour décider » résumerait assez bien l’attitude traditionnelle des élus et « nous sommes les experts », assez bien celle des fonctionnaires. Les villes gardaient donc généralement un contrôle assez serré sur les processus de consultation publique, quand il y en avait.

Avec les années, les choses ont changé. D’une part, « l’expertise d’usage » des citoyens a été reconnue.

Personne ne connaît mieux un quartier que celui qui l’habite. D’autre part, les citoyens n’ont jamais été aussi instruits et jamais aussi informés.

J’ai déjà participé à une rencontre avec l’exécutif d’une association de quartier où tous les participants avaient au moins un baccalauréat, et la majorité avait une maîtrise ou un doctorat !

Étalement urbain, environnement, itinérance, réaménagement de rue ou de parc, changement de zonage, patrimoine, ajout de services en loisirs, ajout de pistes cyclables, les citoyens s’expriment et se mobilisent sur tous les sujets. Si les citoyens veulent influencer les décisions de leur ville, ils ont également de nombreux moyens de le faire, moyens dont ils se servent allègrement : médias sociaux, médias traditionnels, courriels, textos, sites des villes, sites des élus, bon vieux téléphone, etc.

Les villes se sont donc donné des politiques de participation citoyenne. Ces politiques peuvent suffire pour la plus grande partie des situations qui se présentent, mais elles contiennent une faille que les deux mairesses veulent combler.

Les fonctionnaires municipaux sont associés de près à tous les grands projets faisant l’objet de consultation, quand ils n’en sont pas carrément les concepteurs. Ils sont donc souvent juge et partie… et les citoyens ont l’impression que les dés sont pipés, que tout est arrangé avec le gars des vues, qu’on les gère plus qu’on ne les écoute.

Il se développe également ce que des chercheurs appellent la « démocratie événementielle » ou, autrement dit, le « show de boucane ».

On organise de grands évènements de consultation qui n’ont aucun impact sur les décisions. Pourquoi ? Parce que les fonctionnaires municipaux contrôlent ce qui sera transmis aux élus, ce qui ne pose pas de problème dans la grande majorité des cas. Par contre, quand vient le temps d’écrire les rapports de consultation sur les projets qu’ils ont eux-mêmes contribué à concevoir, même avec la plus grande rigueur et la plus grande bonne foi, il leur est parfois difficile de contredire leur propre travail.

La première réponse institutionnelle à ce conflit de rôles a été donnée il y a 20 ans cette année avec la création de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM). Jusqu’au printemps dernier, l’OCPM était, dans tout le monde municipal, le seul organisme municipal de consultation publique neutre et indépendant au Québec. Grâce aux mairesses de Longueuil et de Sherbrooke, deux autres grandes villes ont maintenant emboîté le pas à Montréal et se sont donné chacune une instance indépendante de consultation publique1.

C’est un pas de géant pour ces deux villes et, je l’espère, une décision qui en inspirera d’autres.

La consultation des communautés est une expertise relativement complexe. Elle implique un certain arrimage avec le politique, des méthodes particulières de communication, la capacité de faire la différence entre les faits et les opinions, des règles rigoureuses de transparence, des habiletés rares pour encadrer des discussions parfois houleuses, des mécanismes pour que ni l’opinion des fonctionnaires ni celle des citoyens ne soient occultées, etc. L’existence d’une instance spécialisée dans le domaine permet d’enrichir tous les services municipaux et de renforcer la crédibilité de la ville, sinon de l’État.

Oui, les élus sont payés pour prendre des décisions et ils les prendront toujours à la fin des processus de consultation. Oui, les fonctionnaires ont une expertise précieuse qu’ils devront toujours avoir l’occasion d’exprimer. Oui, mais la participation citoyenne constitue un élargissement bienvenu de la démocratie représentative. La ville n’appartient ni aux fonctionnaires, ni aux élus, mais à l’ensemble des citoyens. Il est normal et souhaitable que leur ville soit à leur image, qu’elle respecte leur volonté. Longueuil et Sherbrooke nous font avancer dans ce sens-là.

1. Consultez la programmation de l’évènement Montréal Participe ! Conversation sur les 20 ans de l’OCPM