On reproche souvent aux journalistes de ne rapporter que de mauvaises nouvelles. En voici une bonne qui mérite d’être soulignée : cinq ans après l’électrochoc du mouvement #metoo, ses retombées au Québec sont exceptionnelles.

Même si beaucoup reste à faire, le courage des victimes jumelé à des enquêtes journalistiques rigoureuses et une mobilisation transpartisane exemplaire à l’Assemblée nationale ont réellement permis de faire des pas de géant.

L’ex-députée péquiste Véronique Hivon, qui a fini le ménage de son bureau cette semaine pour entamer un nouveau chapitre de sa vie après 14 ans de politique, peut dire mission accomplie.

« Je suis quand même fière que la classe politique se soit mobilisée », dit-elle, tout en se gardant bien de s’attribuer le mérite pour les progrès réalisés — dont la création d’un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et conjugale pour laquelle elle a milité.

Si le mouvement #moiaussi a fait bouger les choses, c’est d’abord et avant tout grâce au grand courage des victimes qui ont pris la parole, insiste-t-elle. Leurs voix ont dévoilé l’ampleur du problème des violences sexuelles dans notre société qu’on croit pourtant si avancée.

En tant qu’élue, Véronique Hivon sentait la responsabilité de se montrer à la hauteur de ce courage. C’est pourquoi, dans la foulée de #moiaussi, elle a interpellé la ministre de la Justice et ministre responsable de la Condition féminine de l’époque, Sonia LeBel, qui a accepté sa main tendue.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Véronique Hivon, ex-députée péquiste de Joliette

Cela a donné lieu à une première, qui, on l’espère, ne sera pas une dernière : quatre élues de quatre partis différents, dont une ministre au pouvoir, travaillant main dans la main pour des objectifs communs afin de rétablir la confiance dans le système de justice après #moiaussi et mieux accompagner les victimes.

« C’était exceptionnel. C’était la première fois que le pouvoir exécutif faisait partie d’un comité transpartisan. »

À ceux qui demandent : « Les femmes en politique, ça change quoi ? », on a là un début de réponse encourageant, croit Véronique Hivon.

Avoir une parité à l’Assemblée nationale, ça peut changer les choses.

Véronique Hivon, ex-députée péquiste de Joliette

Le comité transpartisan — formé dans sa mouture préélectorale de la ministre sortante responsable de la Condition féminine Isabelle Charest ainsi que des députées Christine Labrie (QS), Isabelle Melançon (PLQ) et Véronique Hivon — s’est révélé d’une efficacité redoutable. Il a mandaté un groupe d’experts pour établir un plan de match. Un rapport volumineux de 190 recommandations a été déposé en décembre 2020.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le comité transpartisan, représenté ici par les députées Véronique Hivon (PQ), Hélène David (PLQ), Sonia LeBel (CAQ), Christine Labrie (QS)

On parle souvent des beaux rapports d’experts qui meurent sur des tablettes. Ce n’est heureusement pas le sort que l’on a réservé à l’excellent rapport Rebâtir la confiance. Moins de deux ans plus tard, la majorité de ses recommandations, intégrées à la stratégie 2022-2027 de Québec en matière de violence sexuelle et conjugale, ont été embrassées par le gouvernement caquiste.

« Ça dépasse nos attentes », me dit sans hésiter Julie Desrosiers, professeure de droit à l’Université Laval, qui a coprésidé le comité d’experts avec l’ancienne juge en chef de la Cour du Québec Élizabeth Corte.

On a répondu aux recommandations de façon spectaculaire. Un coup de barre a vraiment été donné.

Julie Desrosiers, professeure de droit à l’Université Laval

L’ex-juge Corte renchérit. « De façon générale, malgré le fait que ce n’est pas toujours comme on l’aurait voulu, la réponse gouvernementale a été extraordinaire. »

Il faut dire que l’on partait de loin, souligne Véronique Hivon. « Je pense qu’on était tellement en retard qu’il fallait vraiment mettre les bouchées doubles ! »

Même si les avancées restent fragiles, l’ex-députée est, tout comme les coprésidentes du comité d’experts, ravie du chemin parcouru.

Il y a eu la création d’un tribunal spécialisé, bien sûr, qui a été l’initiative la plus médiatisée. Mais il y en a eu aussi une foule d’autres dont on a moins parlé et qui peuvent vraiment faire toute la différence dans la vie d’une victime.

Le coup de cœur de Julie Desrosiers ? La ligne téléphonique Rebâtir implantée à l’Aide juridique, qui offre quatre heures de consultation juridique sans frais aux personnes victimes de violence sexuelle ou conjugale, dans tous les domaines du droit. « C’est une équipe formidable qui vient vraiment répondre à un besoin. »

Parmi les autres initiatives dignes de mention, il y a aussi eu la création d’un premier centre de services intégrés à Québec. Un tel centre permet à toute personne victime de violence sexuelle ou conjugale ainsi qu’à ses enfants de recevoir gratuitement tous les services nécessaires (police, avocat, intervenant psychosocial, infirmière, etc.) sous un même toit, sans avoir à répéter son histoire à de multiples reprises.

Une autre initiative qui peut sauver des vies est l’aide financière d’urgence pour les victimes, souvent isolées et appauvries. Cela permet par exemple à une intervenante qui est au fait qu’une femme vit de la violence conjugale d’obtenir pour elle dans les 24 heures le soutien financier nécessaire pour quitter rapidement un foyer dangereux.

Il faut aussi saluer le fait que le Barreau du Québec travaille à un guide des meilleures pratiques en matière d’interrogatoire et de contre-interrogatoire pour les victimes, souligne Élizabeth Corte. « C’est quelque chose que les avocats de la défense ont fait. C’est important de mentionner que tout le monde fait ses efforts. »

Si les choses s’améliorent, elles changent tout de même assez lentement. On ne change pas un système, et encore moins une culture, en cinq ans… Si bien que des personnes écorchées dans le mouvement #moiaussi ont l’impression que leur prise de parole n’a pas servi à grand-chose.

À celles-là, Julie Desrosiers tient à dire ceci : « Je sais que plusieurs personnes victimes sont sorties pour dénoncer les travers du système de justice pour les autres. J’aimerais qu’elles sachent que cela a marché et que les choses vont en s’améliorant. »

PHOTO FOURNIE PAR JULIE DESROSIERS

Julie Desrosiers, professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université Laval et coprésidente du comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale

Ça ne paraît peut-être pas maintenant, mais c’est majeur, ce que ce mouvement a déplacé en termes d’énergie et de changements sociaux.

Julie Desrosiers, professeure de droit à l’Université Laval

Tout n’est pas réglé pour autant, bien entendu.

Une des recommandations phares du rapport Rebâtir la confiance était la création d’un secrétariat ayant le pouvoir décisionnel et l’autorité nécessaire pour coordonner l’implantation des plans d’action et rendre des comptes au plus haut niveau de l’organisation gouvernementale. Le comité d’experts suggérait que cette instance relève du ministère du Conseil exécutif.

Cette recommandation n’a été suivie que partiellement. Le gouvernement a donné des leviers et des ressources additionnelles au Secrétariat à la condition féminine (SCF) dans la foulée du rapport Rebâtir la confiance. Cela a permis la création d’une nouvelle Direction de la lutte à la violence sexuelle et à la violence conjugale au sein du SCF qui a la responsabilité de veiller à la réalisation et à la cohérence des engagements gouvernementaux, un peu comme un chef d’orchestre.

Est-ce suffisant ? Même si elle ne doute pas que le SCF fasse un bon travail, Véronique Hivon croit qu’on pourrait aller plus loin.

« Avoir une ministre que l’on nomme précisément responsable de ces enjeux ou créer une instance qui relève de l’exécutif enverrait le signal que le travail se poursuit et qu’il est prioritaire. Ce serait un symbole fort. »

Une façon, après le traumatisme de #moiaussi et la prise de conscience que cela a entraînée, de dire haut et fort : nous aussi, comme société, nous sommes conscients qu’il reste beaucoup à faire et qu’il ne faut rien lâcher.

Le plan de match après #moiaussi

  • Lancement le 20 juin 2022 d’une stratégie intégrée en matière de violence sexuelle et conjugale 2022-2027
  • Les principaux objectifs : contrer la violence sexuelle et conjugale et assurer un accompagnement plus soutenu et mieux adapté aux réalités des personnes victimes.
  • Un total de 462,4 millions sur cinq ans, dont 324,9 millions issus du budget du Québec 2022-2023, investi dans cette stratégie.
  • À ce jour, 166 des 190 recommandations du rapport Rebâtir la confiance, intégrées à cette stratégie, ont donné lieu à des actions.

Source : Secrétariat à la condition féminine 

Consultez les détails de la stratégie gouvernementale

Besoin d’aide ?

SOS violence conjugale
1 800 363-9010, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7
https://sosviolenceconjugale.ca/fr

Info-aide violence sexuelle
1 888 933-9007
https://infoaideviolencesexuelle.ca/

Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC)
1 866 532-2822
https://cavac.qc.ca/

Bouclier d’Athéna
Info-lignes multilingues sur la violence sexuelle et les ressources
514-270-2900 (Montréal)
450-688-2117 (Laval)
http://shieldofathena.com/fr/etes-vous-une-victime

Consultation juridique sans frais pour les victimes de violence sexuelle ou conjugale 1 833-REBÂTIRhttps://www.rebatir.ca/