Quelle ironie, tout de même.

Le rapport sur les finances publiques de la vérificatrice générale devait prévenir la surenchère de dépenses et de promesses électoralistes. Mais à en juger par la réaction des partis lundi, c’est précisément ce qu’il permet.

Ce n’était pas le but. Et ce n’est pas ce que le rapport devrait encourager, si on prend la peine de le lire au complet.

En 2014, Philippe Couillard disait avoir découvert un « trou » laissé dans les finances publiques par le gouvernement péquiste. C’était là-dessus qu’il s’appuyait pour justifier le resserrement rapide des dépenses. Un peu comme Jean Charest l’avait fait en 2003.

Pour mettre un terme à ce mauvais film, M. Couillard a proposé qu’avant chaque campagne électorale, le ministère des Finances publie ses projections et que la vérificatrice générale les valide par la suite.

Cela devait forcer les partis à construire leur cadre financier à partir des mêmes chiffres. En d’autres mots : à ne pas justifier leurs promesses avec des projections de revenus irréalistes.

En 2018, la Coalition avenir Québec avait malgré tout étiré l’élastique en prévoyant que la croissance serait plus grande grâce à un mystérieux « effet CAQ ». Cette fois, elle n’a pas besoin d’inventer de miracle. La réalité a fait le travail. Le déficit de 6 milliards a fondu, en bonne partie à cause de l’inflation qui gonfle les revenus de l’État.

L’inflation a toutefois un sérieux inconvénient : elle hausse aussi le coût de la vie. Les partis rivalisent donc en matière de promesses électorales. Ils veulent financer davantage les services publics tout en réduisant le fardeau fiscal.

Tout le monde est heureux, ou presque. Mais cela vient avec deux risques.

Le premier, c’est l’incertitude. Le mot revient pas moins de 64 fois dans l’analyse de la vérificatrice générale. Elle la qualifie de « très élevée ». Les politiques monétaires internationales, le niveau d’inflation, la guerre en Ukraine, l’évolution de la pandémie, tout cela reste d’une « grande volatilité », écrit-elle dans des passages qui n’ont pas été surlignés par les partis…

D’ailleurs, le rapport du ministère des Finances s’appuie sur des projections faites à la fin de juin qui ont déjà été révisées depuis. Et les institutions financières continuent d’ajuster fréquemment leurs boules de cristal.

Une récession est loin d’être impossible. Le ministre des Finances, Eric Girard, en évalue la probabilité à 35 %.

L’autre risque est politique.

Il se déclinera de plusieurs façons durant la campagne électorale.

Il y a le court-termisme. Contrairement à l’économie, la démographie est facile à prévoir. Or, même si le vieillissement de la population exercera une forte pression sur les finances publiques à long terme, les partis seront tentés de proposer des solutions en évaluant seulement leur coût pour le prochain cycle électoral. Et là encore, le budget prévu pour la fin d’un mandat n’est jamais très précis. On arrondit les chiffres pour obtenir le résultat voulu. Les maisons des aînés constituent un excellent exemple. Ce modèle sera-t-il viable pour les 20 prochaines années ? Voilà une question à laquelle la CAQ semble heureuse de ne pas répondre.

Autre écueil, le consensualisme. Le rapport de la vérificatrice générale permettra aux partis de promettre tout et son contraire. Plus d’argent en éducation ? Ils seront pour. En santé également. Et des baisses d’impôt pour tous, pourquoi pas ? Sans négliger l’aide ciblée aux démunis, bien sûr. Les valeurs se reflètent dans les choix, mais la stratégie de la CAQ consiste à ne pas se mouiller. Ce parti caméléon se dit favorable à un peu tout en même temps. Étouffer le débat est son plan, mais cela ne sert pas la démocratie.

Enfin, le retour anticipé à l’équilibre budgétaire risque de détourner l’attention d’un sérieux problème : la hausse du budget n’améliore pas forcément les services. C’est plus complexe…

En santé et en services sociaux, plus de 37 000 postes sont vacants. Et même si on budgète l’embauche de ces gens, cela ne signifie pas qu’ils viendront. Pour offrir de meilleurs soins, ce qui compte n’est pas seulement le « combien ». C’est aussi le « comment ». Par exemple, l’organisation du travail.

L’embellie des finances publiques reste une bonne nouvelle, à n’en point douter. Mais elle est plus fragile qu’on ne le dit. Et elle ne devrait pas empêcher de faire des débats aussi désagréables que nécessaires.