C’était l’expression préférée de François Legault cette année : « les oppositions ».

Comme dans : bande de chialeux. Il l’utilise aussi souvent que possible.

Il neutralise ses adversaires en faisant comme s’ils étaient identiques. C’est sa façon d’étouffer le débat. Une stratégie prudente et gagnante quand on domine dans les sondages.

Les libéraux, les péquistes et les solidaires incarnent des valeurs très différentes. Et en critiquant le gouvernement, ils font leur travail démocratique. Mais c’est un travail ingrat. Et durant la pandémie, il passait inaperçu.

Les libéraux se démenaient pour parler de pénurie de main-d’œuvre, les solidaires s’inquiétaient des crises du logement et du climat et les péquistes démontraient que la stratégie nationaliste de M. Legault ne menait à aucun gain majeur.

Ça ne levait pas. M. Legault les accusait de se plaindre en direct des estrades. Puis il se vantait de gérer un État à la fois plus efficace et plus généreux, ni à gauche ni à droite. Comme un cochon graissé, la CAQ était insaisissable.

Elle jouait une trappe redoutable, qui a conduit au premier choc de l’année politique. Sa victoire à l’élection partielle de Marie-Victorin.

Fin mars, la pression montait pourtant sur les caquistes. L’enquête du Bureau du coroner rappelait les signaux d’alarme ignorés dans les CHSLD au printemps 2020. Les ministres se contredisaient. Et la sixième vague frappait en même temps que le mouvement anti-mesures sanitaires s’amplifiait avec les conservateurs d’Éric Duhaime.

La victoire de l’infirmière et syndicaliste Shirley Dorismond dans Marie-Victorin a éteint ce feu. La CAQ s’est dit : au-delà des fluctuations quotidiennes de l’opinion publique, le courant de fond reste fort. Il pousse encore l’électorat vers le bleu pâle.

Un mois plus tard, une déclaration de M. Legault a ouvert le débat.

Sa mise en garde contre la « lousianisation » du Québec n’était pas un accident. L’expression était écrite dans son discours. Mais l’entourage de M. Legault ne croyait pas qu’elle créerait une commotion. Après tout, c’était un thème récurrent dans le folklore péquiste. Le premier ministre était incapable d’expliquer en quoi le programme de réunification familiale constituerait une menace existentielle pour le français – séparer des immigrants de leurs enfants qui auraient fréquenté l’école en français, c’est inutile et inhumain.

L’arrivée de l’ex-péquiste Bernard Drainville à la CAQ a gardé le dossier identitaire à l’ordre du jour.

Depuis, on dit moins souvent « les oppositions ». Chacune retrouve son identité distincte.

Après leur bref flirt nationaliste, les libéraux se replient sur leur électorat anglophone et allophone. Ils s’assurent d’être le parti qui propose la plus modeste défense du français. Vendredi, ils ont même chanté l’hymne national du Canada.

Les péquistes trouvent enfin une poignée pour parler d’indépendance. M. Legault prétend que l’existence du Québec est menacée par cette immigration, et il demande à Ottawa de lui céder ce pouvoir. Or, le fédéral a déjà répondu non, rappelle le PQ. Pourquoi alors refuser d’aller au bout du raisonnement et proposer l’indépendance, ou au minimum un référendum sectoriel ? demande son chef, Paul St-Pierre Plamondon.

Les conservateurs profitent du débat pour se poser en défenseurs des vraies affaires. La langue, ils s’en fichent un peu. Et puisque beaucoup de ses militants haïssent le PQ, leur chef, Éric Duhaime, se réjouit du retour de M. Drainville.

Quant aux solidaires, ils sont plus embêtés. Leur premier co-porte-parole, Amir Khadir, se réclamait de Miron et de Godin. Il voulait à la fois défendre le français et les immigrants discriminés. Cet équilibre est toutefois difficile à trouver aujourd’hui, comme le prouvent les militants furieux à cause du vote des députés solidaires pour la loi 96 sur le français.

Finalement, ce redécoupage entre les partis de l’opposition ne déplaît pas trop aux caquistes.

La majorité des partis s’entendent pour dire que les prochaines élections se joueront sur le coût de la vie.

En Ontario, Doug Ford a montré à M. Legault la voie à suivre : un nombre limité de promesses concrètes touchant au portefeuille.

Cela ressemble à la stratégie initiale des caquistes en 2018. Elle ne s’était toutefois pas déroulée comme prévu. M. Legault avait peiné à expliquer comment fonctionnerait son « test des valeurs ». Il avait été sur la défensive pendant plusieurs jours. Cette fois, les caquistes ont voulu régler ce dossier en congrès, afin de pouvoir insister sur autre chose quand les autocars démarreront. Mais une fois de plus, la confusion caquiste fait traîner un sujet identitaire.

Pour la prochaine campagne, M. Legault a quelques cartes dans sa manche. À commencer par une promesse déjà télégraphiée de baisse d’impôt. Il espère ainsi gambader jusqu’à la victoire.

Reste qu’en politique, le temps peut passer à la fois vite et lentement. Une campagne électorale, c’est imprévisible…

Les libéraux, les péquistes et les solidaires auront la chance de casser l’expression « les oppositions ». Mais pour cela, leurs propositions devront être à la fois distinctes et crédibles.