Café du matin. Vous lisez La Presse. À la une, la tragédie du Texas, l’été en 20 films, des examens du Ministère allégés. Boisvert : « La dérive conservatrice du nationalisme québécois ». Y a Journet, aussi : « La droite selon Duhaime ». Vous êtes en retard. Vous finirez ce midi. En route, vers le bureau.

À la radio, Eugénie Lépine-Blondeau trippe sur la suite de Top Gun. Ça vous donne le goût d’aller le voir. Mais ça vous donne surtout le goût de piloter un avion de chasse, plutôt que votre auto-rase-mottes. C’est bloqué sur Décarie. Gros bouchon. Il doit y avoir un accident. Vous vous étirez le cou. Pas d’accident en vue. Il faut qu’il y ait de quoi. Ce n’est pas normal.

Vous donnez un coup de klaxon. Tout d’un coup qu’un distrait attendait juste de se faire klaxonner pour peser sur le gaz. Non. C’est pas ça. C’est jamais ça. Mais vous klaxonnez toujours, au cas. L’immobilité demeure. Vous regardez l’heure. Le boss ne sera pas content. Vous commencez à pomper un peu. La file de voitures à côté semble avancer plus vite que la vôtre. Vous tentez de vous y glisser. Le gros Ram ne vous laisse pas passer. Le con ! Vous vous crispez. Deuxième essai. Vous coupez la Tercel. Elle klaxonne. L’énervée ! Ça vous tape tellement sur les nerfs, les gens qui klaxonnent.

Au moins, vous voilà dans la file la plus rapide… Qui cesse soudainement d’avancer. Ben voyons ! C’est la file que vous venez de quitter qui est la plus rapide maintenant. Phoque ! C’est un complot ! C’est Elon Musk avec ses GPS dans le ciel qui vous niaise.

Qu’est-ce qui se passe ? Vous n’avez pas vécu un tel embouteillage depuis au moins, quoi ? Depuis au moins deux ans. Et là, ça vous revient. Il ne se passe rien de spécial, aujourd’hui. Ce qui se passe aujourd’hui, c’est la normalité. Votre normalité. Votre quotidien d’antan. Ce sont les deux dernières années qui étaient spéciales. Avec pas de voitures sur les routes. Avec pas d’employés dans les bureaux. Avec la COVID.

C’est fou combien on l’a oubliée rapidement, celle-là. Le 1er janvier dernier, quand l’alarme de votre téléphone sonnait à tue-tête pour vous interdire de sortir, on vous aurait dit que, quelques semaines plus tard, la pandémie ne ferait plus partie des manchettes et que le chemin serait bloqué de travailleurs se rendant au boulot avec pas de masque, vous auriez sauté de joie.

Alors, ouvrez votre toit, et sautez dans votre auto ! Vaut mieux être pris sur le boulevard Décarie et sorti de la pandémie que l’inverse.

On a repris notre ancienne vie en oubliant de l’accueillir avec tous les honneurs qu’elle mérite. En oubliant de lui avouer : « Je suis content de te retrouver. »

Savourez tous les petits tracas qui vont avec la vie en société. Car c’est grâce au Ram devant et à la Tercel derrière qu’on est passés au travers. C’est grâce à tous les sacrifices faits par la très grande majorité de la population que les beaux jours sont de retour. La fin de la menace sanitaire est une victoire de la solidarité comme on n’en avait pas vu depuis des années.

Maintenant qu’on a prouvé qu’on avait assez à cœur le sort de la collectivité pour accepter de se confiner, pour accepter de s’éloigner de la famille et des amis, on pourrait se rassembler pour affronter un autre danger mortel : le réchauffement de la planète.

Bien sûr, c’est un combat à long terme (quoique la COVID-19, c’était pas mal long !). Qui ne se règle pas en deux ans. Mais dont le long terme risque d’être court, si on ne fait rien.

Avant la pandémie, l’environnement était notre principale préoccupation. Est-ce que ça le redeviendra ? Rien n’est moins sûr. Ces deux années difficiles ont demandé tellement d’abnégation qu’on a plus envie de lâcher son fou que de changer encore ses habitudes pour le bien commun.

Combien d’alertes faudra-t-il sur notre téléphone pour en ressentir l’urgence ?

Combien de temps pour être pris dans le trafic avec seulement des voitures électriques ?

Durant la pandémie, on n’a pas juste dit « ça va bien aller ». On s’est arrangés pour que ça aille bien. Il ne faut pas lâcher.

Bon, ça débloque, enfin ! Ça finit toujours par débloquer, comme le destin. Il est 9 h 30. En retard pour la réunion. Ça va être une journée de fou.

Heureusement qu’il y a le trafic pour avoir le temps de penser.