J’ai regardé la vidéo montrant le REM de l’Est, dans sa portion du centre-ville, au moins une dizaine de fois. Il n’y a pas à dire, c’est magnifique !

Tout est blanc, épuré, contemporain. Les quatre voies réservées aux voitures sont du côté nord du boulevard René-Lévesque. Au sud, on retrouve une piste cyclable, des espaces larges pour les piétons, des carrés verts, des bancs, des supports à vélos.

Tous les espaces de stationnement ont disparu, voilà qui devrait séduire les élus de Projet Montréal. À l’entrée du Quartier chinois, on a créé une magnifique place publique (sur le terrain vague hideux à l’angle de Saint-Laurent qui est inoccupé depuis l’ère de la dynastie Ming).

Soudain, on voit arriver un train. Il pénètre dans la partie souterraine dont l’entrée est à la hauteur de la rue Jeanne-Mance. Au-dessus de cela, on a imaginé un belvédère qui donne envie de s’y prélasser en lisant le plus récent roman de Dany Laferrière.

Visionnez la simulation montrant le REM de l’Est

Les caténaires (dont j’ai décrit la laideur aux abords du pont Samuel-De Champlain dans une autre chronique) sont ici de superbes anneaux blancs. Je vous jure, c’est le paradis. On a même pensé à montrer une femme qui fait son tai-chi au coin de De Bullion.

C’est beau, c’est incroyable comme c’est beau. On dirait un film de Disney. Sauf que… permettez-moi d’être pisse-vinaigre un brin. Ça ne ressemblera pas à ça.

Les piliers qui soutiennent les coques vont être couverts de graffitis, d’affichettes et de collants au bout de quelques mois. Et si CDPQ Infra déploie autant de zèle que le ministère des Transports du Québec en met pour nettoyer le nouvel échangeur Turcot, dites-vous que le beau design imaginé va prendre le bord.

C’est évident que les dômes que formeraient les coques deviendraient des repaires pour les itinérants. Quant aux belles surfaces en pavés pâles (je ne sais pas pourquoi on s’entête à faire des rues ou des trottoirs en pavés avec des hivers comme les nôtres et notre manie de tout éventrer), elles vont devenir sales après le premier été.

Ma vision est archi négative, je le sais. Mais c’est la réalité. C’est notre réalité.

La « proposition » de CDPQ Infra est une structure urbaine monumentale qui ne va qu’accentuer les réalités urbaines de Montréal. Corrigez-moi si je me trompe, mais il me semble que l’administration actuelle se bat depuis près de cinq ans pour aller à l’encontre de ça. Tous ses gestes ont pour but de donner de l’âme et de la chaleur à Montréal. Or, ce projet symbolise tout le contraire de ça.

Il faudrait aussi parler de l’immense « mur » que créerait la base du belvédère. Les spécialistes utilisent déjà l’expression « fracture urbaine ». Et il faudrait évoquer ce que la vidéo ne montre pas : la partie qui s’élancera vers l’est et l’autre vers le nord-est. Il faut se le dire, l’apparence du REM est bonne pour longer une autoroute, pas pour côtoyer des quartiers où vivent des gens.

J’ai voulu savoir si la mairesse de Montréal avait pris connaissance de cette vidéo, dont on a pu voir des extraits le 9 mars dernier chez Patrice Roy, et qui est apparue récemment sur YouTube.

Après m’avoir promis qu’une élue me parlerait de ce dossier, on m’a finalement dit qu’on préférait ne pas commenter la teneur du projet tel qu’il apparaît dans ces images 3D. L’administration Plante marche sur des œufs en ce moment. On ne souhaite pas envenimer la situation déjà hyper tendue entre la Ville et CDPQ Infra.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Valérie Plante, mairesse de Montréal

Le 17 mars dernier, CDPQ Infra a indiqué que le projet de REM de l’Est n’avancerait pas sans un appui ferme de la Ville. Valérie Plante a répliqué en demandant à CDPQ Infra de se prononcer clairement sur la place à donner à la Ville de Montréal dans le développement de ce projet. La mairesse s’est ensuite entretenue avec François Legault afin de dénouer cette impasse.

On peut imaginer qu’on tente actuellement de faire une place à Valérie Plante au sein du comité des décideurs. Mais on peut aussi se dire que CDPQ Infra veut avoir des garanties que la mairesse ne va pas exiger qu’on recommence à zéro ou imposer un passage souterrain au centre-ville avant de l’accueillir.

Rappelons que la mairesse a demandé qu’on envisage un système sans caténaires. Elle a aussi exigé que l’on protège le Quartier chinois. Arriverait-elle à la table avec des dizaines de demandes de la sorte ? C’est ce que les responsables de ce projet ne veulent pas.

Voilà où on en est après des mois de rencontres, de présentations, de retours à la table à dessin et d’opérations de relations publiques. On se retrouve avec une vidéo qui présente avec éclat le projet de CDPQ Infra et la « suggestion » qui est faite à la Ville de Montréal pour aménager l’espace urbain moyennant 1 milliard de dollars qu’elle devra assumer.

Non seulement on ne souhaite pas une trop forte présence de la Ville dans ce projet, mais en plus, on lui dit ce qu’elle devrait faire. C’est fort.

Cette situation nous ramène à la question de l’autonomie des villes et de l’ingérence du gouvernement. On a pu observer le même phénomène à Québec au cours des derniers mois dans le projet de tramway. Sauf que le maire Bruno Marchand a fait preuve d’habileté et a réussi à créer un rapport de force avec le gouvernement qui lui est maintenant favorable.

Valérie Plante se retrouve dans une tout autre situation. Elle se voit imposer la « vision » d’un projet d’une filiale de la Caisse de dépôt qui détient la combinaison du coffre-fort et qui se comporte comme un promoteur privé.

Lors d’une entrevue, Valérie Plante a dit souhaiter que ce projet soit un legs de la part de chacun de ses artisans. Mais au rythme où vont les choses, cela pourrait prendre la forme d’un cul-de-sac.

Et vous savez quoi, je me dis que c’est sans doute le legs qu’il faudrait faire aux Montréalais.